Le syndrome de l’agar-agar

kevin

Sommes-nous tous plus ou moins atteints du syndrome de l’agar-agar ?

Les inconditionnels de Top Chef le savent qui, depuis six ans de lundi soirs passés à bâfrer trois heures durant devant de pauvres cuistots copieusement insultés par leurs pairs cruels (coucou Yannick Alleno !) : on n’apprend jamais de ses erreurs, et moins encore de celles des autres. Ainsi chaque saison un ou plusieurs candidats rencontre-t-il invariablement un problème de dosage d’agar-agar (et chaque année la voix-off nous rappelle-t-elle au passage que l’agar-agar est un dérivé naturel de la gélatine, merci, pour le coup on avait suivi). Hier soir, c’est Kevin mèche gélatinée qui a foncé dans le piège agar-agarien crête la première, et s’est retrouvé à racler sa mélasse « pas prise ». D’autres années, ce fut le contraire. Une constante subsiste cependant : la manifeste incapacité des candidats à apprendre par cœur les règles de ce dosage dont il est aujourd’hui évident qu’ils devront user à un moment ou à un autre de la compétition (un rapide coup d’œil à Wykipédia vous apprendra par ailleurs que pour une texture agréable, il suffit de mélanger 2g d’agar-agar à un demi-litre de préparation… fermez la parenthèse merci).

Une question subsiste ainsi : pourquoi persister dans cette erreur antédiluvianno-cathodique en n’apprenant pas cette formule simple avant d’intégrer les célèbres « cuisines de top Chef » ? Réponse probable avec ce paradoxal syndrome…

Que l’on retrouve, vous le remarquerez, dans bien d’autres situations. Comment se fait-il, par exemple, que les candidats de Koh-Lanta continuent de se faire dropper sur une île déserte sans avoir appris au préalable à faire du feu, construire une cabane ou cuisiner un bout de manioc dans leur jardin ? Mystère… Ou que les couples des Z’Amour ne se soient pas mutuellement révélés leurs plats préférés ou le nom du premier amour de leurs mères respectives ? Que  vous alliez encore en entretien d’embauche sans avoir préparé trois qualités et trois défauts ou que vous continuiez à sortir déjeuner avec un enfant de deux ans sans prendre de couche parce que, ho, on verra bien et puis cross the fingers, hein.

Vous l’aurez compris, le syndrome de l’agar agar ne peut s’expliquer  chez son sujet que par la poursuite d’un frisson certes minime mais qui bouscule la destinée sans toutefois la mettre tout à fait en danger, risque sans lequel la réussite de ladite épreuve perdrait en saveur. Nous ne sommes pas tous atteints du syndrome de l’agar-agar. Beaucoup préféreront certainement peser leurs 2g pour 0,5L ou s’inscrire à Motus en ayant bouffé l’intégralité d’un dictionnaire à 8 lettres (oui, ça a augmenté) mais une immense majorité d’entre nous, sans le savoir, se balade tranquillou dans l’existence atteint de cette pathologie peut-être bien très française, et à laquelle j’aimerais aujourd’hui donner ce doux nom de syndrome… de l’agar-agar.

Le cruel ballet des goûters d’anniversaire

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– C’est bien samedi, l’anniversaire de Marin ?

Un matin parmi tous les autres, normal, pépère, en emmenant mon fils à l’école, survient la bombe. Comment ça l’anniversaire de Marin ? Alors ça, ça m’étonnerait ! Marin, c’est un des meilleurs amis de mon fils, à l’anniversaire duquel on l’a reçu, ainsi que le reste de « la bande »,  il y a deux mois à peine. Oui, à la maison. Même qu’on a fait les chaises musicales, colin-mayard, la pibnata et tout et tout. Et pourtant…

– T’es sûr, chouchou ? Il t’a pas donné une invitation que tu aurais perdue ? Foutue en boule au fond de tes poches ? Crayonnée sans faire gaffe avec tes vieux feutres désséchés ?

– Non non, sûr archisûr. Pas d’invitation.

Est-il pire chagrin que celui d’amitié ? Pas celui d’amour, pour sûr, qui fait entrer en ligne de compte une quantité infinie de facteurs tous aussi subjectifs les uns que les autres. Belle, pas belle, lassitude, autre femme, peur de l’engagement, sentiments éteints. Tant de petits trucs qui ne concernent finalement personne, échappent à la maîtrise, et adoucissent la tristesse et l’incompréhension.

Non, le chagrin d’amitié, vraiment, il n’y a pas pire. Qu’est-ce que j’ai fait ? Suis-je si peu digne d’être aimé que mes amis me repoussent soudainement ? L’enfer égotique et sentimental suprême. Du moins était-ce ce que je pensais avant d’avoir des enfants, et de subir par ricochet l’atroce ballet social mis en place dès la petite section. Dès les premières fêtes d’anniversaire, en somme.

Un jour, vous trouvez une petite enveloppe planquée dans la parka de la chair de votre chair et votre cœur se réchauffe, s’emballe. Oh, mon bébé, tu vas aller à une belle fête ! Vous l’y emmenez, tout excité, le déguisement ridicule et le cadeau solidement cramponné par ses petites mains potelées, la boule au ventre de le voir si joyeux de partager pour la première fois le bonheur d’une réunion entre copains.

Vous blablatez avec les autres parents, checkez discrètement l’apparte, faites un dernier bisou et partez profiter de ces quelques heures de liberté dont vous ne savez presque que faire. Puis vous repassez, remerciez chaleureusement et repartez l’enfant peinturluré, heureux, et vous aussi de le savoir protégé par tout cet amour pour moins de cinq ans.

Mais voilà. Un matin comme celui-ci, vous apprenez qu’une fête a été organisée sans lui. Sans vous, pensez-vous. « On » n’a pas été invités. Pourquoi on n’a pas été invités ? C’est à cause de moi ? J’aurais dû davantage parler aux mamans le matin ? Faire des sorties scolaires, des gâteaux, prendre des cafés au bout de la rue pour parler de la directrice, des rythmes scolaires, de la maîtresse ? Offrir de plus beaux cadeaux ? Dites-moi, dites-nous. Mais par pitié invitez mon bébé, mon tout petit, mon choupinou. Comme une maladie qu’on voudrait prendre pour soi, vous voudriez supplier qu’on lui épargne cette blessure.

Et puis vous comprenez ce jour-là que oui, il y a finalement pire qu’un chagrin d’amitié. Il y a celui contre lequel vous ne pouvez vraiment rien faire. Celui qui touche votre enfant. Et vous ravalez la boule dans votre gorge en vous disant que ça ne fait que commencer, finalement.

Bienvenue dans la Cour de l’école.