De combien de livres peut-on raisonnablement se dire que l’on s’en souviendra toujours ?
C’est le cas de « Soudain, seuls », d’Isabelle Autissier, dévoré en moins de 24h chrono durant mon week-end provençal pourtant chaperonné par deux personnes de petite taille bien décidés à ne pas même me laisser faire pipi en paix (« Maman t’es oùùùù ? Aux toilettes ? OUVRE ! »).
Paradoxalement desservi par la célébrité de son auteur, ce roman est rare, dur, différent. Vous vous dites peut-être que vous avez mieux à faire que de vous farcir le récit d’une navigatrice dont vous ne vous souvenez plus bien, d’ailleurs, ce qu’elle a gagné, et à qui un éditeur aura fait l’aumône d’une publication contre sa notoriété qui lui ouvrira sans nul doute les portes des médias en tous genre. Détrompez-vous. La première femme à avoir fait le tour du monde en course n’en est pas son coup d’essai, avec plusieurs romans publiés chez Gallimard, Grasset et aujourd’hui Stock.
« Soudain, seuls » est un roman d’aventure, à l’instar de ceux qu’on lisait enfant, et avec lesquels il est si bon de renouer. Exit la zone urbaine, les cosmo, les dialogues gnan-gnan et les atermoiements de quadra perdus dans leur petite vie, place aux grands espaces. Le pitch ? Un couple de trentenaires ne souhaitant pas se réveiller à soixante ans avec l’impression de n’avoir rien vécu décide de partir pour un an en bateau avant que la paternité ne les engouffre. Ivres de bonheur, ils parcourent le monde, font l’amour sur le pont, enchaînent les caïpirinha au Brésil, s’ennivrent de couchers de soleil avant de faire escale, une après-midi de ciel d’un bleu limpide, sur une île protégée entre la Patagonie et le cap Horn, un peu par bravade. Jusqu’à ce que le ciel ne s’assombrisse, que le vent tourne sans prévenir, et que nos deux aventuriers des temps modernes ne doivent se replier dans le décor sinistre d’une maisonnette abandonnée par quelques chercheurs venus compter les manchots, seuls habitants de cette île devenue soudain inquiétante. Au matin, alors que le vent est tombé, leur bateau a disparu.
Commence alors la seconde partie du récit, en mode The Island version hardcore. Amateurs de beaux sentiments et de décors ouatés, passez votre chemin. Les descriptions méthodiques, froides, sans chichi des conditions de survie du couple bouleversent, tout comme les sentiments de désespoir, de doute, de solitude et de haine qui assaillent les héros secouent le lecteur dans son confort habituel. Le style, impeccable, fait l’effet d’un scalpel glacé. Mais à quoi servirait-il de lire si ce n’était pour être un peu brusqué dans son quotidien ?
Tour à tour observateur, voyeur puis analyste de la condition de l’homme dans sa vie, son couple,on est peu à peu poussé dans ses retranchements, comme ces protagonistes au bord du précipice qui les mènera peut-être à la mort. Ou à la folie.
« Soudain, seuls » ne vous fera peut-être pas rêver, comme ces pavés de plage qu’on conseille dans la plupart des magazines féminins. En revanche, vous ne le lâcherez plus dès lors que vous l’aurez commencé, et il est certain que, longtemps après que vous l’aurez refermé, il continuera de vous suivre en pensée. Rien que pour cela, plongez-y les yeux fermés.