Non, Johnny Depp n’est pas sauvage. Il est vieux.

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Un jour on découvrit Tom Hanson, qui d’un coup d’un seul délogea dans notre cœur tous les autres beaux gosses d’OK Podium réunis. Son air rebelle, ses cheveux dans les yeux, ce petit air de bad boy vaguement iroquois qui semblait nous dire « viens », et scotcha toute une génération de teen-agers devant les aventures de flics ados gominés vêtus de perfectos. Bref, on a toutes été raides dingues de lui. De Johnny. Johnny Depp. Le rêve de notre adolescence, qui investit donc le star-system en policier affriolant avant de faire volte-face, choisissant des films un peu chiants, vaguement d’auteur qu’on fit semblant d’aimer parce qu’on était accro à ce piège d’ado tatoué qu’on voulait sauver de ses démons (« L’histoire de ce garçons aux mains en couteau suisse, c’est trop incroyable ! Non mais quel acteur. » / « Dingue, n’empêche, ce poisson qui vole dans le désert, non ? Siiii, j’ai aimé Arizona Dream ! ») Ce que tentèrent par ailleurs de faire les quelques baby-dolls passées dans sa vie, qu’on ne parvint même pas à détester tant elles incarnaient avec lui un idéal de couple « je t’aime moi non plus », fascinant, excitant, différent. Winona, Kate, et puis Vanessa, bien sûr, dont l’intervention ubuesque dans le destin de cette icône intouchable et quasi irréelle vint parachever le mythe.

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La vie planquée à LA, Lily-Rose qui gazouille sur des morceaux bohème, l’air un chouille cradingue d’une petite famille bobo au bonheur extatique, qu’on entrevit rarement, au détour de quelques photos volées, enchanteresses, alors que l’idole semblait avoir peu à peu décidé de ne plus rien jeter. Non, madame. Pas une breloque, un vieux bracelet acheté au marché de St-Rémy, pas une perlouze de bois pendouillant en mode chapelet d’un jean assurément très très sale ne devait alors quitter l’amoncellement étrange de quincaillerie qui ornaient, tel un sapin, un Hanson en mutation. Devenu soudain « Johnny le porte-clés ». Diantre. Voilà t’y pas que le rebelle, le sauvage, l’indomptable et fragile Depp semblait se fondre, après année, dans son personnage un rien gavant de Jack Sparrow, le pirate rimmelisé qu’il avait finalement accepté d’incarner pour les studios Disney. « Pour les enfants », disait-il. Aux soirées, la sexitude décalée fut bientôt troquée pour des accoutrements pour le moins loufoques, que nous fîmes pour quelques derniers instants encore semblant de considérer (« ce fute pingouin + groles de maquereau + crucifix, on aime ou bien ? Vous avez l’eau courant, dans votre mas ? Enfin, il existe des shampooings secs, hein. »).

Puis il y eut la rupture, Vanessa brisée, rentrée en France malgré leurs belles promesses d’éternité, et l’annonce plus ou moins officielle que le poète avait cédé au démon de midi, comme tout un chacun, comme un banal père de famille employé de banque qui craque pour sa secrétaire. En l’occurrence, Johnny était tombé pour une collègue post-ado bisexuelle à la beauté renversante rencontrée sur un tournage. Banal, triste, nul. Et c’est à CE moment que nous avons ouvert les yeux. Et vu sous la quincaillerie, les chapeaux troués, les gilets de notaire élimés et les bagouses Claire’s accessories, la bedaine, le teint cireux, les cheveux gras, le cou épaissi et l’air hagard de l’idole vieillie, traînée bêtement par sa jeunette sur le tapis rouge, comme un papi un peu perdu, poussé à papouiller sa promise devant les photographes, lui historiquement si discret. Qu’est-ce que vous voulez, ça fait plaisir à la petite, de jouer au couple glamour sous les flashs. C’est qu’il faut l’impressionner, assurer. Alors Johnny a jeté aux orties tous ses beaux principes de rebelle, définitivement opté pour ce look suspect finalement pas loin de celui de l’autre Johnny (ouais, Hallyday). Et qu’il vendit, enfin, son âme au diable, signant pour une marque de luxe, vendant son image au grand capital pour mieux récupérer un peu de ce sex-appeal qui fit tant rêver la donzelle, laquelle collectionnait selon ses propres aveux les posters de la star dans sa chambre de jeune fille.

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Alors, « sauvage », le Johnny quinqua ? Non. Vieux.

Tu sais quoi, Johnny ? On aurait bien aimé que tu vieillisse paisiblement à l’ombre d’un olivier avec toute la petite famille plutôt que Lily-Rose pose à 16 ans pour Vogue un pétard dans les cheveux ou que tu crânes bêtement avec la coupe de Sean Penn et la chemise à Garcimore pour un parfum idiot.

Las, les amours de jeunesse, c’est vrai qu’il vaut finalement mieux ne pas les revoir…

Allez, adieu, Johnny !

Le CP ou la concordance des temps

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Alors ça y est. Cette minuscule silhouette dégingandée ployant gaiement sous le poids d’un énorme cartable, c’est bien lui, l’être qui, il y a quelques instants semble-t-il, habitait paisiblement mon corps protecteur. Qu’a-t-il bien pu se passer entre-temps ? MPRFLL [bruit de joue qu’on dégonfle d’un rapide coup d’index] Mystère et boule de gomme. Quelques matinées passées à assembler docilement des fruits en bois scratchés ou à entasser des animaux de la jungle dans une ferme sans toit à la Maternelle et PFIOU, dégringolade dans l’espace-temps, houst, allez hop, à la grande école, jeune homme !

Non mais il faut se calmer, hein ! Arrêter de faire tourner les aiguilles, les jours, les mois et les calendriers comme ça en accéléré. Parce que bon, je fais quoi, moi, en ce tragique matin de septembre, devant mon tout petit bonhomme attablé à… un pupitre ! Non non, pas à une gentille table ronde recouverte de kaplas. A un vrai bureau, madame, avec un casier, un tableau noir en face, une horloge, un voisin sur lequel copier et tout le tralala. Eh bien, j’en mène pas large…

– Quoi, maman ?

– Rien, mon chéri. Tu es sûr que ça va aller ? S’il y a un problème, tu le dis à la maîtresse, hein ? Tu as ta trousse ? Tu seras sage, pas vrai ? Oh, chouette, tu es près de la fenêtre !

– Et alors, maman, ça fait quoi, d’être près de la fenêtre ? On peut sauter ?

– Mais NON enfin ! Tu peux regarder le ciel quand tu te fais ch… Non rien.

– Ah… Coucou, Zach !

– OH, ZACH ! Tu es dans NOTRE classe, OUF ! Dieu te bénisse. Ca va ? Pas trop stressé ? Il est bien, ce Zach, rassurant et tout et tout. On l’aime bien, hein ?

– Maman !

– Pardon, pardon. Reste assis à ta place. Ouch. La maîtresse. Elle me regarde bizarre. Faut que j’arrête de gesticuler. Je suis une dame normale. Une mère d’enfant de CP NOR-MALE. Et je souris à la maîtresse. Hiiiii.

– Au revoir, maman.

– Ah oui ? Tout de suite ? Mais… ça va aller ? Oui, ça va aller.

– Bisou, maman.

– BISOUUUU ! BISOU ! JE T’AIME, tu le sais hein ?! Mwak, mwak ! Mon béb… Bizzz ouïe, pardon. Oui, j’y vais, j’y vais. Rhoooo, ils sont expéditifs, ces gens du CP.

Les escaliers qui sentent le vestiaire, les portes à battants qui se referment mollement en faisant scrioutch, les gamins excités qui courent et bousculent tout le monde en faisant balloter leurs sacs pendus à une seule épaule, ou à leurs coudes (premier fashion faux pas), le directeur qui pointe son index dans tous les sens, fronce les sourcils, gronde à droite à gauche, et les classes encore désertes avec leurs alphabets, leurs cartes de France, leurs plafonds si hauts et cet air à la fois rassurant et désespérant que je pensais avoir oublié. Mais non, je me souviens, moi aussi, de mon entrée en CPB (… sont des bébés, les CPA sont des papas), et de ma maman qui m’avait pourtant l’air si adulte. Mais peut-être qu’elle était folle comme moi. Ou triste, ou qu’elle se sentait vieille d’un coup, elle aussi.

Ce soir, il ne racontera rien, ou si peu, comme tous les enfants du monde. Pourtant, aujourd’hui, mon enfant est pour la première fois un peu devenu moi, avec sa trousse, sa gomme et ce tableau noir qui deviendra son horizon quotidien pour les 15 années à venir. Mon passé devient son avenir, et pour la première fois mes souvenirs concorderont avec son quotidien puisque c’est aussi à l’âge de la grande école que la mémoire commence (enfin) à imprimer pour toujours.

Pour le coup des quinze années, je ne lui dirai rien. Faut pas spoiler…

Mais bon, c’est pas pour rien qu’il n’y a que les parents qui pleurent, devant les classes de CP.