[Mise en garde : ce contenu s’adresse à un public averti. Détestateurs de food porn s’abstenir]
Pour situer, de nos jours, à Paris, pour s’offrir le plaisir d’un vrai japonais tradi avec maître sushi, démo en live et tutti quanti, il faut débourser en moyenne 200 euros par tête de pipe. Hein ? Quoiiii ? Mais moi chez Matsuri… Et mon beau-frère chez Planet sushi… Passez votre chemin gastronomes impies qui prenez des vessies pour des lanternes, et de vulgaires chinois à l’avocat généreux pour des nippons au génie ancestral.
Hier donc, pour l’anniversaire de mon concubin, nous nous sommes rendus chez Sushi B, lequel eût pu/du choisir un patronyme un peu moins convenu à mon sens mais passons. Situé rue Rameau, à quelques encablures de la rue Sainte-Anne bien connue des amateurs de culture japonaise, le restaurant de Masayoshi Hanada en jette. Face à un charmant petit parc, il est planqué derrière une porte close. Pour entrer, on sonne, la porte coulisse alors qu’une souriante jeune femme nous accueille dans l’antre à dégustation comme dans un dessin animé de notre enfance (la mienne, en tous cas). Autour d’un petit comptoir (8 place) sont installées de très chic japonaises. Au centre, le chef attend, couteaux au poing, ses grandes boîtes en bois remplies de poissons somptueux, les réjouissances peuvent commencer.
Le midi, 3 menus au choix : l’un à 53 euros, l’autre à 90 et le 3e à 135. Nous optons pour le menu « déjeuner » à 90 euros, lequel annonce des amuse-bouche, une entrée, un plat, des sushis et un dessert. Ca fait maigre, pensez-vous comme mon convive et moi qui aurions pu allègrement bouffer le comptoir. Il est 13h45, on starve. Et pourtant, faites confiance au maître des lieux, ici, tout est calculé.
En boisson, nous choisissons le thé grillé à volonté (encore heureux pensez-vous, et vous n’avez pas tort) alors que tadadam débute l’expérience. Attachez vos serviettes, saisissez vos baguettes, le voyage peut commencer. Et quel voyage.
Un premier amuse-bouche : une étonnante bouchée de tofu chaud et fondant fils d’un shamallow qui aurait rencontré un fromage doux à Tokyo :
Puis une boulette de thon dans son bouillon pimenté-cibouletté.
Un tartare de bar wasabi orné de petits morceaux de foie de lotte (un peu comme du foie gras)… Un poisson fondant à tomber accompagné de ses radis vinaigrés que j’ai oublié de prendre en photo tant il vécut peu de temps. Plouf. Apati le poisson, comme dirait mon fiston.
Ces amuse-bouche m’ont mis en appétit (sans vous parler de mon voisin qui tressaute discrètement sur sa chaise confortable en laine grise) alors que les japonaises à notre gauche enchaînent les sushis. Je commence à avoir peur qu’on nous ait oubliés. Je tente des regards implorants à mister samouraï qui, derrière ses lunettes rondes, fait mine de ne pas comprendre. Jusqu’à ce que…
Sushi de dorade
Pour les non initiés, sachez qu’un vrai sushi (donc pas ceux que vous commandez et recevez gelés, fine tranche de poiscaille inoffensive ou nervurée écrabouillée sur une très épaisse couche de riz frigorifié compacté) doit recouvrir entièrement le le riz. Celui-ci est à température ambiante plus un ou deux degrés, non pâteux, et recouvert d’une tranche épaisse, souvent incisée et assaisonnée par le chef lui-même, au pinceau et dans les règles de l’art, de sauce soja. Réclamer un bol et sa sausauce, c’est un peu comme couper la salade en France, les spaghetti en Italie ou saucer son assiette en fin de repas. Bref, ploucos. Place à la suite…
La Saint-Jacques (à se rouler par terre, failli pleurer)
La langoustine nacrée perfect, et son corail iodé (mon keum a failli pleurer, moi j’avais déjà quitté la sphère).
Le thon rouge (cherchez pas, aucune relation avec son cousin sushi shopesque)
Le thon gras (un peu comme un bœuf de Kobé, autant vous dire qu’il n’est pas même besoin de croquer dans ce sushi-ci – répétez sushi-ci sushi-ci – tant il fond immédiatement dans votre bouche).
Entre chaque bouchée touchée par la grâce, vous pouvez « laver votre palais » en croquant dans le gingembre déposé sur le coin de votre assiette. Non, il n’est pas rose fluo. Quant au sushis, et puisqu’on vous a proposé la fameuse petite serviette brûlante pour vous laver les mains avant votre repas, vous êtes tout à fait autorisé (pour ne pas dire invité) à les manger à la main. En une bouchée ! Pour les nettoyer entre chaque, une minuscule serviette fraîche pliée en origami et coincée dans une coupelle de taille idéale est discrètement placée à votre côté. On continue ?
Suivront la bouchée de riz aux œufs de truite des mers à déguster à la petite cuillère de bois (en photo d’illustration), l’omelette japonaise, la sèche échevelée…
Le Temaki (non californien) tendu de la main à la main, à manger comme un sandwich dans sa feuille d’algue croustillante (et non caoutchouteuse) dont j’entends encore crépiter la fraîcheur au moment où j’écris. Scrouitch scrouitch.
Et enfin, parce que c’est ainsi qu’on fait quand on est japonais, la soupe miso qui vient clore ce joyeux ballet béni des dieux de la gastronomie. Concentrée, servie à température idéale, elle ferme doucement la porte de notre estomac ni trop repu ni affamé.
Un petit besoin de sucré ? Place au dessert, tout en délicatesse et subtilité lui aussi : une quenellette de glace au riz, très peu sucrée, posée sur un habile mix de caramel de sauce soja sucrée et salée, qui ferait passer nos meilleurs caramels au beurre salé pour de la mélasse industrielle.
Pendant tout ce temps, placés devant l’artiste, nous avons observé ses gestes gracieux, ses découpes soignées, ses petits coups de serviette dans nos assiettes dès lors qu’un minuscule élément semblait avoir quitté la place exacte qu’il devait censément occuper, le tout dans une ambiance zen et coupée du monde (quoiqu’assez peu joyeuse). Dehors, il fait beau, mes papilles sont encore toute retournées, comme mon portefeuille, certes mais je vous le dis comme je le pense, quitte à économiser longtemps pour se faire un étoilé, ou offrir un massage de luxe à une amie épuisée, pensez-y. Il est une expérience que tout amateur de bouffe et de japonais devrait au moins une fois dans sa vie tenter : sushi B.