La « toute fin juillet »

Je déteste cette période. La « toute fin juillet », quand l’excitation des premières terrasses, des premières sandalettes, des premières soirées passées, un peu ivre, à se dire que c’est fou, il est tard et on bosse le lendemain mais qu’on s’en moque, qu’on est en juillet, a fini par passer. Et qu’après tout ça, les barbecues, les sangrias, les panier de paille et les jupons aux vents viennent ces jours pâles, sans espace-temps, où les fêtards s’en vont vers d’autres cieux, laissant leurs compagnons de frivolité seuls, dans un Paris qui ferme ses portes, et où les devantures abaissent le rideau de fer sans autre considération.

Les métros se vident alors de leurs travailleurs excédés mais se remplissent de touristes en short indécemment heureux de déambuler dans les rues moites de la capitale alors que vous partez présenter votre power point à d’insolents juilletistes déjà revenus lrebootés à bloc. Au ciné ne paradent plus que des blockbuster grotesques sortis en catimini, tout juste bons à nourrir de pauvres diables comme vous qui boulottez par ailleurs du mauvais pain parce que votre boulanger préféré s’en est lui-même allé. Vous regardez, impuissant, le cercle des proches et des baby-sitters disponibles se restreindre tandis que les posts Instagram iodés filtrés envahissent, eux, votre téléphone. Même les gars du Tour de France ont rangé les vélos. Dehors, tout est en travaux, comme si vous n’étiez pas là. Hou hou ! Ah, t’es encore là, toi ?

Tu pars quand ? Euh… vendredi. Tiens, on est le 25, et vous n’aviez rien vu venir de ces jours lourds, gris, cet entre-deux des vacances où les déjà-partis la poussent encore un peu alors que les aoûtiens trépignent, conscients du mois « pour rien » qui s’est déjà écoulé entre leurs doigts dans ces « grandes vacances » dont on considéra toujours qu’elles devraient durer deux mois, point. Du 1er juillet au 6 septembre, parce que c’est imprimé là, dans nos têtes d’éternels collégiens, pour l’éternité.

Mais non, tout ca, c’est fini. L’été c’est trois semaines, à répartir au doigt mouillé au-dessus du 15 août vous serez gentils, histoire de pas non plus poser plein de congés pendant le reste de l’année. Faut bosser, oh !

Et c’est comme ça qu’on se retrouve un 25 juillet, à observer l’œil torve et las ce sas d’un temps suspendu autour de l’absence des plus nombreux et de l’impatience excédée des autres. À piétiner chez soi en regardant des Gendarmes et des Angélique ou à passer devant des vitrines où trônent, déjà, de fiers manteaux automnaux sidérants dans cette arrière-boutiques de vacances qui semblent ne jamais vouloir démarrer.

Allez, il est temps de partir. Rideau.

L’Affaire Grégory : je me souviens

Grégory. C’est un peu particulier, cette histoire. Je connais bien ce petit garçon souriant sur fond de papier peint seventies, pull vosgien sur ses frêles épaules, et puis les autres, les photos où un gros monsieur en imperméable soulève le petit corps supplicié dont on a recouvert le visage d’un bonnet, et le décor sinistre et brumeux de la Vologne. Parce que j’ai bossé sur ce « fait divers » pour mon mémoire de fin d’étude, et visionné des kilomètres de microfilms de l’Affaire, au temps où les portables n’existaient pas, et où les ordinateurs ne servaient pas à grand chose d’autre qu’à jouer à la Dame de pique et au Solitaire.

Mais les gens de mon âge ont tous vécu plus ou moins la même chose. Tous ont grandi avec ce prénom, Grégory, tantôt accompagné de l’adjectif « petit », tantôt de sourires en coin, ou de blagues un peu cons qu’on balançait en cours de récré sur la noyade, la poussée d’Archimède. Coule ou flotte ? Haha.

C’est l’histoire d’un petit garçon dont le prénom n’aura jamais plus la même résonance pour ma génération. Un prénom particulier qu’on entendait prononcer par les adultes à la télévision, Yves Mourousi, Marie-Laure Augry, PPDA, et puis par les adultes, aussi, aux repas de famille. Ma grand-mère qui finissait toujours par dire : « C’est la mère, forcément, elle avait un amant. Le petit s’est noyé parce qu’elle l’aura mal surveillé puis elle est allée le noyer ». Et de voix s’élevaient : « Non, une femme ne ferait pas ça. » Et moi qui écoutais sans bien comprendre qu’on parlait là de l’assassinat d’un gosse de quatre ans auquel un ou plusieurs adultes avaient ôté la vie parce que ses parents avaient acheté un nouveau canapé, que son papa avait une « belle voiture » et que sa maman avait les traits d’une Madone. Christine. Et de plein de gens à l’œil sombre, les oncles, les tantes, les cousines, avec leurs moustaches pixelllisées, leurs lunettes épaisses, leurs secrets enfouis profond alors qu’ils fixaient l’objectifs de photographes venus les interroger sur ce mystère qui devait nous accompagner toute notre vie, alors que la barbarie de l’épisode s’estompait pour laisser place à cette « série » devenue iconique, imprégnée de notre histoire, de notre époque et réciproquement.

Aujourd’hui qu’elle remonte à la surface, surgie une nouvelle fois des eaux noires de la Vologne et de nos souvenirs pour venir percuter nos vies d’adultes, elle en ressort modifiée. Aujourd’hui que nous sommes parents, que nous n’avons pas appelé nos fils Grégory, que nous tremblons à chaque pas pour nos petits, ce snéraio prend un tout autre visage. Celui d’un môme que la jalousie aveugle d’adultes englués dans leur colère sourde par le brouillard et l’ennui aura précipité au fond d’une rivière à la nuit tombée. Celui de fous insensés qui se sont convaincus que c’était la solution, pour faire taire l’envie qui ronge. Enlever cet enfant à ses parents, ce petit gars en chaussures montantes qui joue sur un tas de cailloux et puis s’en débarrasser parce que « Voilà ma vengeance, pauvre con. »

Celui d’une vérité, surtout, qui s’approche et se dérobe à mesure qu’une vallée entière décide de parler, avant de reposer brusquement la cloche sur le secret collectif à nouveau. Une vérité qu’on aimerait tant connaître pour clore cet épisode de nos vies, et offrir à ce couple de vingtenaires, alors, si injustement devenu icône d’une décennie, le repos, après toutes ces années de traque médiatique et d’une douleur dont on comprend maintenant qu’elle dut être monstrueuse.