La deuxième étoile

Ca montait depuis un petit moment, dans la rue. Depuis la gare Montparnasse, où j’avais débarqué en début d’après midi, ils étaient tous là, ces gens bleu-blanc-rouge, des jeunes, des vieux, des femmes, des étudiants ravis, comme nous l’étions en 98. Ensemble, ils entonnaient des Marseillaise à gorge déployée dans le métro, fiers, si fiers tout à coup, dans la chaleur accablante de cette belle journée d’été. Place de Clichy, les terrasses s’installaient, pleine de chaises récupérées un peu partout, ça allait être la soirée de l’année. Il y avait une telle joie, surtout pour un dimanche imaginez-vous. Des Parisiens qui prennent des spritz à 15 heures, le sourire aux lèvres, le visage peinturluré, ravis de s’adresser à leur voisin quand bien même ils ne le connaîtraient pas. Sur l’avenue, les prostituées balançaient au vent de grands drapeaux tricolores pendant que des passants pressés, les sacs pleins de victuailles, sonnaient aux portes qui allaient les accueillir. C’est moi, t’as le code ? Vite, ça va commencer.

Et puis ça s’est déroulé. Différemment, c’est ça qui est étonnant. On s’attendait à un, et deux, et trois zéro mais non. C’était différent. Mais on a gagné. Et on l’a revécu, alors qu’on ne pensait pas, avoir le droit de revivre ça. Cette ferveur, les klaxons, les rires, la rumeur qui monte des trottoirs chauffés, les gens qui s’étreignent à tous les coins de rue, les chants qui montent jusque tard dans la nuit pendant qu’on revoit ces joueurs qui brandissent la coupe. Leurs visages sur l’arc de Triomphe, nouveaux modèles pour nos enfants qui aduleront ces Dieux pour longtemps, toute leur vie peut-être.

Mon fils est en colonie. Ce soir, il va rencontrer ce bonheur éternel, cette liesse partagée avec des amis dont on n’oubliera jamais les noms, parce qu’ils étaient là avec nous quand ça s’est passé, ce truc dingue, qui suspend absolument le reste des horreurs du monde.

On est rechampions.