Fragments d’enfance

Ce matin, sur le chemin de l’école, avec Petit Frère, 4 ans-bientôt-5, on passe devant l’église Saint-Michel.

– C’est la maison d’Hippo, ça ?

– Ah non mon chéri, ça, c’est la maison de Dieu.

– C’est qui, Dieu ?

Houla, 8h34.

– Euh… Dieu, Dieu, Dieu… C’est, c’est lui qui a créé la Terre, les animaux, et les hommes aussi, les fleurs…

– Et la DS ?

– Ah non, la DS, c’est Nintendo, mon amour. Enfin, les hommes, quoi. Dieu a créé les hommes qui eux, ont créé la DS. Mais tu sais, je suis pas très pour la DS…

– Mais noooon, la déesse comme dans le livre que lit Tao, avec Athéna et tout.

– AAaaaaaah, la dé-esse ! Ah. Ouh. Ok. Alors. Avant, les gens, ils avaient plein de Dieux. Un Dieu pour tout. Un pour la guerre, un pour le vin, un pour le soleil, un pour le sommeil, un pour l’amour… Enfin tu vois. Et puis un jour, bha (pfiou là là), on s’est dit (qui ?) que en fait, il n’y en aurait plus qu’un. Celui qui vit là, donc, dans la « maison d’Hippo ». Enfin qui vit là… Il vit partout, en fait.

– Hein ?

– Mais bon il est pas seul, seul. Il a un fils aussi. Tu sais qui c’est ? Son fils ?

– Bha… oui. Le-fils-de-Dieu.

– Mais tu sais comment il s’appelle ? Celui qui naît à Noël (prise de conscience du côté chelou de mon histoire d’un mec qui naît tous les ans à Noël, mais ça n’a pas l’air de le contrarier). C’est le petit, le petit…

– … Le Petit Poucet !

– Mais non. Le Petit Jésus !

– Ah…

Dans le métro me revient la teneur d’une discussion au bureau la veille, autour du compte Instagram du magazine :

– Il nous en faudrait un par centre d’intérêt. Un pour la mode, un pour la food, un pour la musique, un pour les livres…

– Non non, c’est mieux d’en avoir un unique, fort, qui concentre tous les followers au même endroit. Ca a davantage de rayonnement.

– C’est pas dit. Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt créer des verticales et fédérer des communautés qualifiées autour d’intérêts communs ?

Et puis les gens s’entassent dans la ligne 13 et le tuuuut de la porte et un coup de sac dans la tête me font revenir à la réalité. Et je me dis que je sais pas trop, si y’avait un Dieu par truc qui nous intéresse vraiment (le Dieu des agriculteurs, le Dieu des mamans, le Dieu des gens qui cherchent un mec grave…), ça marcherait mieux. Ou si c’était pas con, finalement, cette idée de faire un Dieu unique, paf, plus simple, on fout tout le monde dans la même église et basta cosy.

Et puis je me dis surtout que c’est quand même génial d’avoir ces conversations ésotériques qui vous font vous poser mille questions après le premier café du matin, avec ces personnes de petites taille qui s’interrogent naïvement sur tout et n’importe quoi, et surtout sur les trucs les moins simples avec une candeur finalement si éclairée. Je me dis que j’adore ces fragments d’enfance chopés au col, au petit matin frais sur le chemin de l’école. Alors je voulais garder celui-ci ici pour toujours. Merci Dieu d’Internet.

« Ca a dû être une belle femme »

Parmi les petites phrases qui se veulent gentilles et qui m’énervent autant qu’elles me foutent le blues il y a celle-là. L’autre soir, mon concubin et moi regardions un reportage sur Didier Deschamps, l’un des seuls Bleus de 98 à n’avoir pas quitté son épouse d’alors après la victoire pour partir dribblouiller vers d’autres cieux plus jeunes, slovaques ou nichonnés. Et, alors qu’apparaissait à l’écran Claude, femme de et mère de Dylan leur fils unique, mon concubin lâcha avec l’apparente impression de dire un truc très sympa : « Elle est bien, hein. Ca a dû être une belle femme ! » Ce à quoi je lui ai répondu du tac au tac : « Bha… elle n’est pas morte. »

Silence d’incompréhension mutuelle.

Non mais c’est vrai. C’est une phrase que j’ai très/trop souvent entendue. « C’était une belle / très belle femme ». Comme si le simple fait d’avoir passé la fatidique barre des, allez on va dire quarante, quarante-cinq ans lorsque la nature a été très clémente, faisait fatalement basculer les individu de sexe féminin dans une espèce de sas où l’on vit encore (ouf !) mais dans un physique dont on ne peut plus dire qu’il est mais seulement qu’il a été.

En mode : « Nan mais Monica Bellucci, c’était une TRES belle femme. » Ok, et maintenant, qu’est-elle donc devenue ? Un souvenir qui respire encore ? N’est-elle plus une femme ? Ou n’est-elle plus belle ? La beauté d’une femme ne dépend-elle finalement que son degré de baisabilité sur l’échelle du désir universel ? A-t-il été acté quelque part, dans une espèce de grande encyclopédie de la beauté féminine à usage des hommes (dont je n’aurais pas eu connaissance) que ledit terme de beauté, donc, n’était plus adapté au-delà d’un certain âge ? Que les rides excluaient à jamais un visage d’une acceptation esthétique positive, ou qu’un épiderme moins flexible anéantissait pour toujours sa propriétaire du champs lexical de la beauté ? J’ai même déjà entendu des personnes se réjouir que des célébrités glamour soient mortes jeunes car ainsi elles étaient « mortes belles ».

Bha si c’est le cas, je ne suis pas d’accord. On va dire que j’ai un discours démagogique, que j’enfonce des portes ouvertes ou au contraire que je plane à dix mille mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous ? Est-ce qu’on dit par exemple d’une vieille commode un peu patinée que ça a dû être une belle commode ? Non. Est-ce que les touristes en Egypte disent « Ouais, pas mal. Ca a dû être des belles pyramides », dédaigneux de l’aspect actuel de ces œuvres qui ont traversé les ans et portent en elles la vie qui s’est déroulée ? NAN. Moi je trouve que Claude Deschamps EST une belle femme. Qu’Helen Mirren est une belle femme. Que Susan Sarandon est une belle femme. Que ma mère est une belle femme.

Et tant qu’on n’aura pas accepté, tous, que la beauté féminine transcende la jeunesse des traits, et qu’elle se trouve dans tout sans qu’il soit forcément question de verdeur ou de prétendue perfection, tant que nous n’aurons pas enfin déplacé cette perception que nous avons de la beauté telle que nous pensons la reconnaître, les femmes auront envie de se faire sauter le caisson à quarante ans parce que la société parlera désormais d’elles au passé.

Non mais.