Dans les années 90, tout le monde fumait. Du soir au matin, on restait solidement amarré à son paquet de 25, allumant allègrement et sans culpabilité clope sur clope, au réveil (la tête dans le cendars) avant même le café, au boulot en crapotant avec son unique coburelier en mode bocal, au dej, entre chaque plat, éteignant certaines à même la bavette à l’échalote, et puis évidemment à l’apéro et bien plus tard dans la soirée, accélérant le rythme en sprint final jusqu’au coucher (rhaaa, ça fait du bien !). Mais ça, c’était avant, bien sûr. Avant l’interdiction de cloper dans les bars, dans les trains, sur les quais de gare et même chez les autres qui vous ont progressivement invité à vous les peler sur le balcon si vous souhaitiez continuer à imposer votre habitude d’antan aux autres qui, eux, lâchaient un à un le navire nicotinier pour une vie saine, familiale et no-glu.
Aujourd’hui, tout le monde ou presque a quitté les rangs, préférant pour beaucoup téter grotesquement d’étranges bangs à la fumée sucrée, fiers d’annoncer entre deux taffes radioactives à l’assemblée médusée : « Moi, j’ai arrêté ! ».
Si bien qu’est progressivement né en soirée un étrange ballet de repentis affamés, rôdant comme des vautours autour des derniers adeptes de la bonne vieille clope à filtre.
Vendredi soir, alors que je discutais avec une copine vraie clopeuse qui n’emmerdait personne, fumant tranquillou au centre des clopeurs anonymes, je les ai vus rappliquer. Les uns après les autres, par l’odeur alléchés, ces sevrés du tabac postant crânement sur Instagram leurs exploits marathoniens et leurs assiettes arc-en-ciel. Oui je les ai vus s’approcher poumons à terre et le regard suppliant : « Dis… pardon, tu parlais hihi. Non, excuse-moi. Il est à toi, le paquet ? Ah. Euh… Je pourrais t’en prendre une ? Merci hihi. Noooon, j’ai arrêté mais bon… une de temps en temps. Tu continues, toi ? Tu devrais pas. ». Un, puis deux, puis cinq grands gaillards assumant pleinement d’aspirer comme des maboules sur une Vogue incongrue, puis de revenir supplier comme des enfants à quarante berges parce qu’évidemment une première entraîne une seconde, pour la simple satisfaction de se dire que oui, ils ont ARRÊTÉ du FU-MER, Madame !
Le lendemain, je savais qu’ils oublieraient leur méfait parce que paquet pas acheté n’est pas paquet fumé, et que taxer par-ci par-là, c’est comme baiser à Vegas, ça compte pas.
Ajoutez à cela les non fumeurs qui trouvent ça hyper rigolo d’essayer, le fumeur de roulés qui s’en ferait bien une vraie, celui qui ne trouve plus son paquet mais vous la rend bien sûr dès qu’il met la main dessus, et ceux qui ne demandent même plus parce qu’à cette heure-ci pfiou on n’en est plus là, imaginez l’état du paquet de ma copine en mode machine à distribuer gentiment des récréations à 10 euros la Malbak…
Alors, je me suis demandé si tout ça n’avait pas un rapport avec le fait de commander une salade tout en boulottant l’intégralité de l’assiette de frites de son mec au restau (« ça compte pas ! »), ou d’acheter des pompes hors de prix sous prétexte qu’elles étaient à 50% (« j’ai gagné 300 balles ! »). Ouais, avec le concept du « ça compte pas » dont on définit seul les contours, bien en phase avec notre conscience.
J’aurais voulu leur demander, mais les « anciens fumeurs » avaient tous décampé pendant que ma copine extrayait péniblement sa dernière clope sauvée des eaux (ou plutôt des cocktails) et que s’envolaient sur la piste les derniers volutes aériens de leur passé.
Aujourd’hui, une étude est tombée, annonçant que 600 000 fumeurs quotidiens avaient arrêté au premier semestre 2018. Je me suis dit que ça allait lui en faire, des clopes à acheter, à ma copine.
J’hésite entre le rire et les larmes en te lisant. Je suis la nana qui clope comme une damnée depuis 20 ans. Et 20 fois par an, des inconnus me harcèlent : « t’arrêtes quand ? » pendant que 20 fois par jour, d’autres me demandent si j’ai pas une clope.
Ça n’a pas changé depuis l’époque où fumais (il y a plus de 18 ans) il y avait ceux qui ne fumaient que des CDA ( cigarettes des autres) et avaient bonne conscience. Était-ce pcq ils considéraient ne pas être pas fumeurs, être économes , limiter la consommation de ceux dont ils piquaient les clopes ou prenaient ils simplement plaisir à emmerder les fumeurs ???