Il y a deux catégories de gens. Ceux qui prennent les mots pour argent comptant (moi), et les autres. Quelqu’un comme moi, par exemple, si on lui demande « ça va ? », va vraiment croire qu’on veut de ses nouvelles, et se préparera à répondre alors que son interlocuteur est déjà parti sur autre chose, ou parti tout court en fait. Idem, si on me dit « je te rappelle dans 5 minutes », je crois vraiment que 5 minutes plus tard, le téléphone va sonner…
Alors je reste devant l’objet. Sans bouger. Sans oser faire pipi ni rien, ni même boulotter un bonbon on ne sait jamais. Aaaah, 4 minutes. Attention je mets bien le volume de mon tel, au cas où j’entendrais pas la sonnerie, ça serait idiot. Et tiens, si j’allais me faire un thé en attendant ? Nan c’est con. Un thé, ça prend plus que 4 minutes. 3 minutes 58 en fait maintenant. Non, le temps de mettre l’eau dans la bouilloire, d’attendre que ça chauffe, de verser le tout dans la tasse et ahhh, mais rien qu’à réfléchir, là, il me reste que 2 minutes 50 maintenant. La pression monte. Elle a dit 5 minutes. « Je vous rappelle dans 5 minutes pour vous dire où est votre commande Zara ». C’est vrai, ça fait deux semaines que je l’attends, ma commande. Il y a deux jours, j’ai eu quelqu’un du service client qui m’a dit de ne pas m’inquiéter. Que la commande arriverait hier. Alors je me suis pas inquiétée, hein. Je fais ce qu’on me dit, moi. J’ai attendu docilement devant ma boîte aux lettres. Elle a dit hier. Alors le colis va arriver, forcément. Et puis non, en fait, rien n’est arrivé. Alors j’ai rappelé, redonné mon numéro de commande et pas si vite madame, je note. Et la dame a regardé l’état de ma commande, comme j’avais déjà fait dans mon compte client, en fait. Et elle a dit « ah, c’est bizarre ». Oui, c’est sûr, c’est bizarre. Surtout qu’elle devait arriver hier vous m’aviez dit, j’ai dit. Elle a dit que c’était pas elle qui avait dit ça, qu’ils sont nombreux, au service clients. Mais qu’elle allait se renseigner, qu’elle me rappelait dans 5 minutes. J’ai confiance. Maintenant, dans 1 minute 02, elle va rappeler. Elle va me dire où sont mon trench, mon haut à boutons dorés qui n’est plus disponible sur le site ni en magasin et mon serre-tête catho que mon mec va trouver ignoble. 37 secondes. Merde mon téléphone sonne mais ça n’est pas la dame. C’est un recruteur à qui j’avais envoyé mon CV. Merde merde, je peux pas répondre. Ca tombe vraiment mal mais dans 27 secondes, la dame de Zara va rappeler. Si je réponds au recruteur je vais tout faire capoter. On a rendez-vous, la dame et moi. Et moi, je suis polie. Une promesse est une promesse. Le recruteur est basculé sur messagerie. J’attends. Il va laisser un message c’est sûr. 0 seconde. Je me racle la gorge, fais des vocalises. Babeubibobuuuuuu. La dame de Zara va rappeler. Ah, tiens, elle a dix secondes de retard. Mais bon, je suis un peu à cheval sur les horaires, j’avoue. Peut-être qu’elle aussi elle est tombée sur une collègue qui lui a posé une question dans un couloir alors qu’elle courait à son poste pour notre rendez-vous téléphonique (« ça va ton fils ? » / « tu pars à la Toussaint ? » / « Bha nan tu sais bien qu’on est au Vanuatu pour coûter moins cher à Zara, ici c’est pas les mêmes vacances scolaires – ah ouais chus con »). 2 minutes de retard. Je suis pas folle, elle a bien dit 5 minutes. Ah tiens, le recruteur a pas laissé de message. C’est con quand même, si j’avais su, j’aurais pu lui répondre.
Une heure plus tard, j’ai vraiment trop envie de faire pipi. J’emporte quand même mon téléphone au cazou (oui, j’ai honte mais elle est quand même pas bien polie cette dame de chez Zara. Et puis pas sûr que du Vanuatu, elle entende un bruit de pipi).
Une journée plus tard, je dois me rendre à l’évidence. Elle a zappé notre rendève. Mais elle rappellera, forcément. Non ?
Et je me rappelle soudain de ce type qu’une copine à moi avait chopé en boîte quand on avait quinze ans, dont on avait dégoté le numéro et qu’on avait appelé le lendemain, surexcitées. « Je te rappelle dans 5 minutes », il avait dit, quand elle avait énoncé son blabla. On était tellement excitées, devant son fixe à grosses touches, prêtes à bondir. C’était il y a près de trente ans…
Alors à tous les disciples de David Parienti, ghosteurs professionnels, pleutres services clients, plans cul foireux ou hâbleurs et autres mythos du call back qui vaquent tranquillement à leurs occupations pendant qu’une partie de l’humanité attend logiquement devant son téléphone, allez vous faire foutre ! Non mais.