La triple charge mentale du parfait confiné

Bouclée entre quatre murs H24 avec toute la millefa, on s’était dit qu’on pourrait tranquillou abandonner le make-up, le lisseur, le rasoir et le bien-manger pour se glisser mollement, tous ensemble, sous un plaid et se coller devant Netflix en attendant que la vague passe.

Eh bien pas du tout !

On avait pourtant bien claqué la porte d’entrée, désinfecté les poignées, laissé à l’extérieur la société honnie et exigeante qui nous bouffait le cerveau avec ses injonctions incessantes de perfection tous azimuts, et bha elle a réussi je ne sais pas comment à se glisser sous la porte. Comme les poux retrouvés hier soir par dizaines sur la tête de mon fils, manifestement pas plus angoissés que ça par l’émergence de ce virus assassin qui semble (mais quel dommage) n’avoir aucun effet néfaste sur eux. Mais c’est une autre histoire.

Chaque jour, il faut gérer l’école des enfants. Oui, le Ministère l’a dit. C’est important d’exercer un « suivi pédagogique », comme si on y pouvait quelque chose à tout ce tintouin. Alors on s’y colle. Avec un, deux, quatre enfants de niveaux différents, dont il faut imprimer, classer, expliquer, corriger les milliers de devoirs envoyés par les profs confinés eux-mêmes effrayés par les ordres venus d’en haut. Ensuite, pendant que chaque minute, un élève multi-niveau passe une tête perplexe dans le bureau de la dirlo (« Nan maman je sais qu’il qu’il faut pas te déranger mais juste… c’est quoi un adverbe ? »), il faut supporter sa propre gueule ravagée filmée par les caméras cruelles des merveilleux outils technologiques qui nous permettent de « garder le contact » (youpi) avec notre employeur. Bonheur du matin.

Pause dej. On vide le lave-vaisselle, on prépare le repas pour tout le monde (sain, hein, faudrait pas oublier de manger sinq fuizélégumes par jour). On range, on essuie, on gronde ceux qui se lèvent de table sans demander, ne mangent pas assez vite, râlent. Et puis on s’y remet. Un pied dans le boulot mal fait, l’autre dans la classe qui, au fur et à mesure de la journée, perd sa patience et s’échauffe. Impression chelou d’être Jean-Claude Van Damne en équilibre entre deux bagnoles qui roulent à vive allure.

Ah bha justement, il ne s’agirait pas de ramollir ses fessiers, ou de déroger à la règle d’une activité physique quotidienne indispensable à notre équilibre. Las, c’est pas en allant se caler dans la sinistre queue du Monop qu’on risque d’avoir des cuisses de Kardashian cet été. Ah mais géniaaaal, plein de happy confinés se filent rancard en ligne pour bouger leur booty. Vite, on saute dans un legging ! Et on subit les ordres de coachs manifestement enchantés d’enchaîner les squats dans leurs salons immaculés en gueulant qu’il faut rester po-si-tifs. Oui oui, bien sûr. Alors on sue avec le sourire, on suffoque, on gémit, mais faut ce qu’il faut, pas vrai? Toc toc. « Maman, stu fous en poirier ? Nan juste je m’ennuiiiie. » Hop on y retourne. Casquette centre aéré. Jeu de société. Monop’ ? Croque-carotte ? On a modifié les règles, ajouté des cartes. Pourtant, après 65 victoires, 134 défaites et 34 crises de larmes (« il a trichéééééé »), on se lasse. On compte même plus les points. Allez hop, « temps d’écran ! ». Le silence, enfin. Si on en profitait pour bosser ? Mouais. Faudrait songer au dîner quand même. Eplucher, couper, émincer. Merde, y’a un liiiive de méditation sur Instagram. Tout le monde le fait. TOUT. LE. MONDE. Ok, ok, on s’y met. Haaaaaaammm ! Haaaaaaammm. « Ca va maman ? Qu’est-ce tu fous à marmonner toute seule au milieu des Legos ? Tu pleures ? »

On prendrait bien l’air pour recharger les batteries. Ah merde, c’est interdit. La dernière fois, on voulait juste faire le tour du pâté de maison mais on s’est fait gueuler dessus par le mégaphone d’une bagnole de condés. Ambiance La Servante écarlate. Praise be. Alors on va faire des ronds dans la cour de l’immeuble avec les kids. Parce qu’il faut qu’ils s’ébrouent. C’est ce que font les parfaits confinés. Vague impression d’être à Fleury. Allez, on remonte en cellule. Faut se coucher tôt parce que demain, y’a à nouveau école, et qu’on a plein de devoirs à corriger de toute façon.

Sur Insta, des gens beaux, maquillés et heureux lancent sans relâche des lives pour qu’on voit à quel point ils font bien le confiné. On est tenté de mettre un commentaire rageux mais on n’est pas comme ça. On coupe et on allume la radio. Au secouuuuuurs, Edouard Philippe. Tututututututut on veut plus l’écouter mais sa voix, comme les diktats du dehors, se glissent sous les parois de nos mains pour atteindre nos oreilles incrédules.

Il parle de rallonger de « quelques semaines ». Les boucles Whatsapp s’agitent. On évoque 5 semaines. 5 SE. MAINES.

Les enfants, foutez vos joggings, sortez les Pitchs et balancez les cartables. Pas grave, vous redoublerez. Quoi, vous allez m’arrêter pour mauvais confinage ?

L’amour au temps du corona

Ca n’est plus qu’une question de jours, d’heures peut-être. Alors que des centaines de parisiens si fiers de « braver le virus » s’entassent, s’enlacent, s’embrassent sur les quais du canal Saint-Martin, se touchent, se frôlent dans les parcs, font glisser « les kids » sur des toboggans surinfectés, ravis de humer les premières odeurs du printemps, il va falloir y aller. Se confiner, s’enfermer. Parce qu’on ne sait pas se discipliner, nous, les Français. Comme des gosses à qui on dit de ne pas toucher au bouton rouge et qui se ruent dessus. Pouêt pouêt. On est comme ça.

Alors on va tous être contraints de fermer nos portes pour deux, trois semaines, peut-être plus. Et devoir vivre ensemble. « Vivre ensemble », « résilience ». Décidément, les expressions émergentes de ces dernières années ne risquent pas de passer de mode.

Demain matin, il faudra faire l’école aux enfants. Plonger le nez dans les cahiers de texte, les cours de maths, de géo, de grammaire (« comment ça, ça existe plus le COI ? »). Supporter les cris, les larmes, les « mais le prof il fait pas comme çaaaaa !! ». Tout en envoyant des mails à droite à gauche pour garder un semblant de vie professionnelle. Et puis mettre son couple sous cloche. H24. Rester zen, parce qu’on ne pourra pas claquer la porte, partir boire un verre avec un pote, se barricader au ciné ou retrouver son amant, sa maîtresse même quand ça deviendra insupportable. Que deviendront tous ces couples bancals qui vivotaient cahin-caha, toutes ces familles au bord de la crise de nerfs contraintes de cohabiter, scotchées devant Netflix, dépitées par leur dixième dîner coquillettes-jambon franchement c’est pas trop bon ? Et les enfants de divorcés, devront-ils choisir chez qui se confiner ?

Alors reviendra le temps long de l’ennui. Les heures immenses des débuts de l’après-midis. La joie de lire, peut-être. Le manque des autres. Les nouvelles reçues par textos, par mails, comme autant de cartes postales envoyées au temps où l’on n’était pas si proches, où l’on n’obtenait pas tout en un claquement de doigts, un clic sur un plat chinois, un swipe sur un écran plat.

Ca va être long, oui. Mais comme je l’ai lu quelque part, à d’autres générations, on a demandé de partir au front. Pour sauver les nôtres, épargner un maximum l’humanité, à nous, on nous demander de ne plus bouger. De rester scotchés à nos proches. Et puis d’attendre. De faire le dos rond. Y’a pire.

Bon, en Chine, au sortir de la quarantaine, le taux de divorce a explosé. Mais peut-être qu’il fallait ce révélateur de couleurs aux amoureux las voguant sur le fleuve trop rapide de leur quotidien. Peut-être que d’autres se sont rapprochés, au contraire. Que dans vingt ans on parlera du baby boom de 2020. Que des récits fous de huis-clos enchantés nous permettront de penser que toujours, de la tragédie, peut émerger de belles histoires.