Alors c’était ça. On s’y attendait. Comme souvent. Mais quoi. Ce « déconfinement », finalement, qu’est-ce que ça va changer ? A partir du 11 mai, on pourra, donc, « sur la base du volontariat » – c’est jamais bon, cette expression, quand les gens l’emploient. Ca sonne un peu comme « à vos risques et périls », enfin – mettre quelques-uns de nos enfants à l’école. Et pendant ce temps-là, faire des tours dans le quartier. Sans attestation. Yeah, rock n’roll. Des grands tours, même. De 1 à 99 kilomètres. Tout de suite, c’est à peu près tout. Puisque les restaus, les bars, les théâtres et les cinés resteront fermés. Qu’on devra couvrir nos visages pour à peu près tout, et attendre bêtement chez nous devant Netflix que la vie économique veuille bien reprendre du service, à moins bien sûr que la crise sanitaire ne regagne du terrain et nous réenferme tous dans notre « vie » des derniers mois. Mais non, soyons optimistes et voyons plus loin. Juin. En juin, donc, on pourra appeler une copine pour boire un coup à la terrasse d’un café. Et ça c’est cool. Enfin, si on est du genre à aimer les crêpes sans gluten, les hamburgers au tofu, la bière sans alcool ou les kouign-amans à la margarine. Oui parce que bon, je nous imagine avec ma copine, calées chacune devant une plaque en plexi, soulevant nos masques lavables à chaque gorgée de vin, hurlant sous nos baillons à travers le guichet amovible pour kiffer ensemble les premiers rayons estivaux, peut-être les seuls éléments un peu réels de ce simulacre de petit bonheur tout simple. Nos « voisins » de beuverie seront à des mètres de nous, même pas moyen de mater qui se planque sous le bandana. Idem au restau, où on sera si « heureux » de retrouver le plaisir incomparable de « partager » un bon repas tendu de loin par des serveurs apeurés, trinquant facticement comme au parloir (cling !), agrippant désespérément la frontière de plastique qui nous séparera désormais parce que ça n’est plus « raisonnable ». Un par un, à la bibli, chez le primeur, le boulanger, et même à la plage. Sur les croix au sol, les gommettes, droits comme des « i », on poireautera sagement les uns derrière les autres, pas trop près, non. Pour grignoter, vite, des petits bouts de cette vie entre guillemets avant que l’hiver ne nous rattrape ? Est-ce qu’on fera semblant d’être heureux, aussi ? Ou est-ce qu’on kiffera vraiment ces retrouvailles au compte-goutte, comme on croque discrétos dans le gâteau de son mec en plein régime, tiraillée entre la culpabilité et l’envie de se vautrer franchement dans cette belle grosse part, d’ouvrir les vannes, de laisser s’engouffrer la liberté totale, l’absence de toute limite qui nous ramène toujours à l’euphorie inoubliable d’émancipation lorsque, devenu adulte, on jouit enfin de son autonomie après des années de soumission parentale ?
Pour ma part, je me suis toujours demandée pourquoi les vegans cherchaient à retrouver le « vrai goût du burger » avec des simulacres de viande habilement reconstituée. Pourquoi ils ne gambadaient pas plutôt gaiment dans leur nouveau périmètre de droits plutôt que de chercher à reconstituer des semblants de plaisirs désormais interdits. Ouais, je ne sais pas si j’aimerai cette… « vie »-là, ces… « apéros », ces « restaus », ces micro réjouissances consolatrices aux allures de bière sans alcool… J’irai donner mon argent aux bistrots, aux troquets, à toutes ces tables que j’ai tant aimé arpenter, la gorge probablement nouée par la souvenir des jours tant heureux des cacahuètes au pipi et des voisins de table qu’il faut pousser du coude. Mais que ce soit clair, je nourrirai cette vie entre guillemet avec colère, hargne et espoir. Oui, l’espoir ferme de l’en libérer. Et vite.