Si vous trainez sur les réseaux sociaux, vous n’avez pas pu passer à côté de ce nouveau phénomène trop LOL qui consiste à poster une photo de soi vieux. L’appli Face App, si elle existe depuis plusieurs mois, a réellement décollé il y a peu et depuis tout emporté sur son passage.
Le concept ? Prendre en photo son visage, puis cliquer sur l’icône « vieux » pour avoir une idée de son aspect des décennies plus tard. Poches sous les yeux, dégringolage des tissus, tâches, raréfaction des cheveux devenus gris et filasses, rien n’est épargné au sujet qui se retrouve face à son double du futur en quelques secondes avec un résultat bluffant. Car c’est bien ce qui agite les utilisateurs enthousiastes, le réalisme délirant de l’appli star qui propose aussi de découvrir son visage rajeuni, lequel ressemble tant à celui qu’on était qu’on ne peut alors douter de la fiabilité du vieillard goguenard apparu sur l’écran.
Dans nos soirées d’été, le sujet arrive rapidement sur le tapis, alors que les premiers smartphones surgissent. « Allez, c’est marrant, fais-le toi ! » Et qu’on se compare en poussant des petits cris effarés. « Ouah, t’as pris cher ! », « Franchement, tu t’en sors bien ! », « Regarde je suis atroce !! ». Les mecs adorent, et comparent déjà les ravages d’un temps pas encore passé. Les filles rechignent ou calculent déjà si elles préfèrent ressembler à ça ou à Madonna. On se shoote, on se reshoote en fronçant les sourcils, en levant le menton, en retirant sa chemise (« le rose, ça me vieillit, j’te jure ! reprends-moi ! ») ou en gonflant les joues. On propose de prendre ses parties génitales en photo pour envisager le futur de sa bite, ou la tarte sur la table, qui sait ce que ça pourrait donner ?
Bref, on s’éclate à sauter les années, la peur au ventre mais surtout avec la consolation de se dire que tout ça c’est « pour de faux », que pour l’instant on n’est encore pas si mal, hein ? Comme si se voir ridé était le grand frisson du moment, la frayeur nocturne qui s’en va au petit matin, le « non mais imagiiine » des enfants hilares, le petit film d’horreur qu’on se mate en loosedé avant de se lover avec bonheur dans la normalité retrouvée de notre petite vie confortable.
Mais qu’est-ce que ça traduit de notre rapport à la vieillesse, finalement ? Toujours ce rejet non avoué d’avancer dans le temps, lorsque le dégoût non dissimulé des visages abimés est chaque jour plus présent, dans un époque du paraître, du selfie et du filtre Insta qui boute hors du sérail la vie qui passe. Schizophrénie totale, toutefois. Unetelle aurait « succombé à la chirurgie esthétique », honte à elle qui n’accepterait pas les marques d’une existence sur sa jeunesse envolée. Telle autre aurait « pris cher non mais t’as vu ? Elle est tellement tapée, faut qu’elle se cache ». Alors quoi, tout le monde a tout faux ?
Autrefois ou dans d’autres sociétés lointaines et sages, les anciens étaient respectés et choyés pour leur expérience, interrogé par les plus jeunes sur ce chemin d’une vie qu’ils avaient parcouru, acceptant alors d’être ici et maintenant en cette étape du périple parce que leur âge inscrit sur leur visage ne faisait pas d’eux des phénomènes de foires, des Elephant mans de flux Instagram.
Il paraîtrait par ailleurs que l’appli goberait nos données personnelles, afin notamment d’enrichir les bases de reconnaissance faciale du monde entier grâce à nos sourires édentés épouvantés. Allez, assez rigolé. Si péché d’âgisme n’est pour l’heure pas mortel, il pourrait devenir un poison lorsque le retrait de filtre ne sera plus possible, et que le vieillard goguenard sera bel et bien là dans le miroir à nous lbesrver, bien amer d’avoir été le cauchemar de son double du passé.