La Vie virtuelle

New York incarne tout ce que j’aimais dans la vie d’avant. Le bruit. L’urbanité brute et rassurante. L’énergie, la foule qui grouille, se faufile dans les artères, sûre d’elle et de sa puissance, passants disparates et agglutinés fonçant tous vers un objectif qui semblait toujours important. Un rendez-vous professionnel, un rancard amoureux, un apéro entre copains, un cours de gym, de yoga, un footing, un shopping, des courses rapides ou appliquées pour le dîner du soir, du week-end à venir, d’une fête où on se collerait les uns contre les autres près de la fenêtre ouverte d’une cuisine enfumée. La musique trop forte qui s’échappait des boutiques à touristes, les sirènes criardes des bagnoles de flics, les notes feutrées des bars souterrains, des hôtels de luxe et le boucan des cahutes de rues à l’odeur de graillon, de pralines, de chaussons. Une ville toujours sur le qui-vive, dont le scintillement continu et rassurant témoignait de la vie qui se déroule, faite de joies immenses et de peines abyssales, d’éclats de rire, de cuites et de matins blêmes, d’étreintes, de petits et de grands tracas, bref de tout ce qui ponctuait nos existences d’individus dont le moteur se mettait en route au contact des autres. Au contact.

Aujourd’hui, New York s’est tue et compte ses habitants tombés de s’être trop touchés. Parlé. Aimés. Comme le (presque) reste du monde. Le soir, le silence envahit les rues. Noir, épais, gluant. De mes fenêtres parisiennes, je n’entends plus les soulards gueuler jusque tard dans la nuit, ni les groupes de jeunes venus s’attrouper encore un peu devant les bars avant de rentrer réviser, parce que le printemps est là, que les exams approchent, et qu’il faut bien s’y mettre avant de vivre le plus beau des étés. Il n’y aura pas cette année le bruit des balles jaunes de Roland Garros à peine couvert par le chant des oiseaux pendant qu’ils s’angoisseront devant leurs bureaux. Ni la promesse d’un Euro suivi ensemble, collés les uns contre les autres sur les canaps familiaux, la liesse et l’ivresse dans les rues du pays, enveloppés dans des drapeaux sans se soucier de rien et surtout pas du lendemain.

Alors oui, on vante les nouvelles technologies qui nous permettent de maintenir un lien, d’atténuer cette inhumaine distanciation sociale. On s’émerveille, on s’emballe devant ces petits et grands groupes Whatsapp qui tiennent encore un peu chaud au cœur. Ok, c’est mieux que rien. Mais franchement, quand on en aura fini avec tout ça, j’espère bien ne plus JAMAIS prendre de cours de yoga virtuel, ni trinquer avec mes parents à travers un écran. Ni mater bêtement deux célébrités venues papoter devant mes yeux las d’avoir trop cherché dans mon smartphone à renouer avec le bonheur d’antan. Je ne veux pas déambuler toute ma vie avec un masque, sans savoir si mon commerçant ou les autres passants sourient ou pleurent derrière le leur. Je veux retourner voir Fabrice Lucchini dans un vrai théâtre, m’asseoir sur d’inconfortables fauteuils en velours patiné, boire de mauvaises pintes debout dans les rues sales de ma ville, carrer mes fesses dans un cinoche devant l’écran immense, communiant avec des centaines d’inconnus, plonger mes doigts dans le même pop-corn que mes enfants. Retrouver l’odeur des livres neufs et puis celle de mes parents.

Merde, puisse cette vie virtuelle n’avoir vraiment qu’un temps.

La triple charge mentale du parfait confiné

Bouclée entre quatre murs H24 avec toute la millefa, on s’était dit qu’on pourrait tranquillou abandonner le make-up, le lisseur, le rasoir et le bien-manger pour se glisser mollement, tous ensemble, sous un plaid et se coller devant Netflix en attendant que la vague passe.

Eh bien pas du tout !

On avait pourtant bien claqué la porte d’entrée, désinfecté les poignées, laissé à l’extérieur la société honnie et exigeante qui nous bouffait le cerveau avec ses injonctions incessantes de perfection tous azimuts, et bha elle a réussi je ne sais pas comment à se glisser sous la porte. Comme les poux retrouvés hier soir par dizaines sur la tête de mon fils, manifestement pas plus angoissés que ça par l’émergence de ce virus assassin qui semble (mais quel dommage) n’avoir aucun effet néfaste sur eux. Mais c’est une autre histoire.

Chaque jour, il faut gérer l’école des enfants. Oui, le Ministère l’a dit. C’est important d’exercer un « suivi pédagogique », comme si on y pouvait quelque chose à tout ce tintouin. Alors on s’y colle. Avec un, deux, quatre enfants de niveaux différents, dont il faut imprimer, classer, expliquer, corriger les milliers de devoirs envoyés par les profs confinés eux-mêmes effrayés par les ordres venus d’en haut. Ensuite, pendant que chaque minute, un élève multi-niveau passe une tête perplexe dans le bureau de la dirlo (« Nan maman je sais qu’il qu’il faut pas te déranger mais juste… c’est quoi un adverbe ? »), il faut supporter sa propre gueule ravagée filmée par les caméras cruelles des merveilleux outils technologiques qui nous permettent de « garder le contact » (youpi) avec notre employeur. Bonheur du matin.

Pause dej. On vide le lave-vaisselle, on prépare le repas pour tout le monde (sain, hein, faudrait pas oublier de manger sinq fuizélégumes par jour). On range, on essuie, on gronde ceux qui se lèvent de table sans demander, ne mangent pas assez vite, râlent. Et puis on s’y remet. Un pied dans le boulot mal fait, l’autre dans la classe qui, au fur et à mesure de la journée, perd sa patience et s’échauffe. Impression chelou d’être Jean-Claude Van Damne en équilibre entre deux bagnoles qui roulent à vive allure.

Ah bha justement, il ne s’agirait pas de ramollir ses fessiers, ou de déroger à la règle d’une activité physique quotidienne indispensable à notre équilibre. Las, c’est pas en allant se caler dans la sinistre queue du Monop qu’on risque d’avoir des cuisses de Kardashian cet été. Ah mais géniaaaal, plein de happy confinés se filent rancard en ligne pour bouger leur booty. Vite, on saute dans un legging ! Et on subit les ordres de coachs manifestement enchantés d’enchaîner les squats dans leurs salons immaculés en gueulant qu’il faut rester po-si-tifs. Oui oui, bien sûr. Alors on sue avec le sourire, on suffoque, on gémit, mais faut ce qu’il faut, pas vrai? Toc toc. « Maman, stu fous en poirier ? Nan juste je m’ennuiiiie. » Hop on y retourne. Casquette centre aéré. Jeu de société. Monop’ ? Croque-carotte ? On a modifié les règles, ajouté des cartes. Pourtant, après 65 victoires, 134 défaites et 34 crises de larmes (« il a trichéééééé »), on se lasse. On compte même plus les points. Allez hop, « temps d’écran ! ». Le silence, enfin. Si on en profitait pour bosser ? Mouais. Faudrait songer au dîner quand même. Eplucher, couper, émincer. Merde, y’a un liiiive de méditation sur Instagram. Tout le monde le fait. TOUT. LE. MONDE. Ok, ok, on s’y met. Haaaaaaammm ! Haaaaaaammm. « Ca va maman ? Qu’est-ce tu fous à marmonner toute seule au milieu des Legos ? Tu pleures ? »

On prendrait bien l’air pour recharger les batteries. Ah merde, c’est interdit. La dernière fois, on voulait juste faire le tour du pâté de maison mais on s’est fait gueuler dessus par le mégaphone d’une bagnole de condés. Ambiance La Servante écarlate. Praise be. Alors on va faire des ronds dans la cour de l’immeuble avec les kids. Parce qu’il faut qu’ils s’ébrouent. C’est ce que font les parfaits confinés. Vague impression d’être à Fleury. Allez, on remonte en cellule. Faut se coucher tôt parce que demain, y’a à nouveau école, et qu’on a plein de devoirs à corriger de toute façon.

Sur Insta, des gens beaux, maquillés et heureux lancent sans relâche des lives pour qu’on voit à quel point ils font bien le confiné. On est tenté de mettre un commentaire rageux mais on n’est pas comme ça. On coupe et on allume la radio. Au secouuuuuurs, Edouard Philippe. Tututututututut on veut plus l’écouter mais sa voix, comme les diktats du dehors, se glissent sous les parois de nos mains pour atteindre nos oreilles incrédules.

Il parle de rallonger de « quelques semaines ». Les boucles Whatsapp s’agitent. On évoque 5 semaines. 5 SE. MAINES.

Les enfants, foutez vos joggings, sortez les Pitchs et balancez les cartables. Pas grave, vous redoublerez. Quoi, vous allez m’arrêter pour mauvais confinage ?

L’amour au temps du corona

Ca n’est plus qu’une question de jours, d’heures peut-être. Alors que des centaines de parisiens si fiers de « braver le virus » s’entassent, s’enlacent, s’embrassent sur les quais du canal Saint-Martin, se touchent, se frôlent dans les parcs, font glisser « les kids » sur des toboggans surinfectés, ravis de humer les premières odeurs du printemps, il va falloir y aller. Se confiner, s’enfermer. Parce qu’on ne sait pas se discipliner, nous, les Français. Comme des gosses à qui on dit de ne pas toucher au bouton rouge et qui se ruent dessus. Pouêt pouêt. On est comme ça.

Alors on va tous être contraints de fermer nos portes pour deux, trois semaines, peut-être plus. Et devoir vivre ensemble. « Vivre ensemble », « résilience ». Décidément, les expressions émergentes de ces dernières années ne risquent pas de passer de mode.

Demain matin, il faudra faire l’école aux enfants. Plonger le nez dans les cahiers de texte, les cours de maths, de géo, de grammaire (« comment ça, ça existe plus le COI ? »). Supporter les cris, les larmes, les « mais le prof il fait pas comme çaaaaa !! ». Tout en envoyant des mails à droite à gauche pour garder un semblant de vie professionnelle. Et puis mettre son couple sous cloche. H24. Rester zen, parce qu’on ne pourra pas claquer la porte, partir boire un verre avec un pote, se barricader au ciné ou retrouver son amant, sa maîtresse même quand ça deviendra insupportable. Que deviendront tous ces couples bancals qui vivotaient cahin-caha, toutes ces familles au bord de la crise de nerfs contraintes de cohabiter, scotchées devant Netflix, dépitées par leur dixième dîner coquillettes-jambon franchement c’est pas trop bon ? Et les enfants de divorcés, devront-ils choisir chez qui se confiner ?

Alors reviendra le temps long de l’ennui. Les heures immenses des débuts de l’après-midis. La joie de lire, peut-être. Le manque des autres. Les nouvelles reçues par textos, par mails, comme autant de cartes postales envoyées au temps où l’on n’était pas si proches, où l’on n’obtenait pas tout en un claquement de doigts, un clic sur un plat chinois, un swipe sur un écran plat.

Ca va être long, oui. Mais comme je l’ai lu quelque part, à d’autres générations, on a demandé de partir au front. Pour sauver les nôtres, épargner un maximum l’humanité, à nous, on nous demander de ne plus bouger. De rester scotchés à nos proches. Et puis d’attendre. De faire le dos rond. Y’a pire.

Bon, en Chine, au sortir de la quarantaine, le taux de divorce a explosé. Mais peut-être qu’il fallait ce révélateur de couleurs aux amoureux las voguant sur le fleuve trop rapide de leur quotidien. Peut-être que d’autres se sont rapprochés, au contraire. Que dans vingt ans on parlera du baby boom de 2020. Que des récits fous de huis-clos enchantés nous permettront de penser que toujours, de la tragédie, peut émerger de belles histoires.

Ces gens qui ADORENT leur anniversaire

En ce lendemain d’anniversaire de mon mec (et de Nicolas Sarkozy), j’en profite pour m’interroger sur un phénomène que j’ai récemment observé : les gens (comme mon mec, donc) qui sont fous de leur annive. Des semaines avant, ils en parlent des étoiles dans les yeux comme s’ils avaient sept ans et demi et qu’on allait les recouvrir d’une montagne de Playmobils. Toute l’année, ils visualisent le calendrier en fonction de cette date CLÉ (« Ah oui, à quelques jours près, c’est un mois pile avant mon anniversaire ! »). Et le jour même, alors là le jour-même, gare à la Terre si elle n’a pas imprimé un petit mouvement de twerk pour marquer le coup. Un peu surpris que cette date n’ait pas été rendue fériée pour l’occasion, ils posent pour beaucoup leur RTT afin d’organiser LA fête qui viendra célébrer comme il se doit cet événement tant attendu du monde entier. Quand ils ne font pas semblant, deux années sur trois, de ne s’occuper de rien, pouffant en leur sein en attendant la fête-« surprise » que leurs proches se croient obligés de leur mitonner en « secret » pour ne point être radiés.

Je les envie, bien sûr, ces birtday-addicts, absolument enchantés de cocher emphatiquement les ans sur la petite règle de la vie, et plus encore de se faire photographier sous tous les angles, bouffis d’alcool et vêtus de tenues farfelues, grotesques ou pailletées par l’intégralité de leur cercle amical et professionnel devant un gros gâteau, tentant vaillamment d’éteindre en un coup un nombre incalculable de bougies. Perso, je hais mon annive. Disons que c’est un non-sujet. Je suis née en plein mois d’août. Je n’ai jamais eu à le fêter réellement et me suis dès mon plus jeune âge extraite d’un potentiel culte de cette date qui, censément donc, m’appartiendrait en propre (ainsi qu’à François Hollande, né lui aussi un 12 août).

Toujours est-il qu’entre les birthday-bluesers et les birthday-addicts, il semble y avoir aujourd’hui peu d’entre-deux. La faute à une société excessive où, lorsqu’on s’auto-célèbre, on ne le fait pas qu’à moitié. Savez-vous que jusqu’aux années 50, il n’était pas du tout d’usage de célébrer son « anniversaire individuel », cette étonnante idée étant considéré par l’Eglise comme un péché d’orgueil ? Aujourd’hui, on est devenus complètement gagas de ces rites annuels dont on est le héros. Supplantant le mariage, les baptêmes, les communions et autres fêtes de diplôme, les anniversaires sont devenus sa-crés, et pas seulement les nôtres. Partout, il y a toujours un annive à fêter. Les 70 ans du twist, les 30 ans des Enfoirés et même les âges qu’auraient eu ceux qui ne les auront jamais (cf. « Romy Schneider aurait eu 80 ans », l’année dernière…) Facebook est là pour nous rappeler de ne surtout oublier personne, de la vague connaissance de lycée à notre boss, en passant par nos « vrais amis », sous peine d’être banni de la société. Leetchi vient nous taper quelques euros parce que bon, il faut quand même bien offrir un petit quelque chose à celui qui écartelait sa pauvre mère ce même jour il y a des décennies. On ne fête plus, alors, un âge canonique réel qui pourrait fiche le bourdon mais une journée particulière pendant laquelle chacun peut, pour une fois, devenir un petit peu plus spécial que toutes ses autres connaissances elles-mêmes devenues uniques grâce aux réseaux sociaux. Bha ouais, il faut bien sortir du lot. Houhou, j’existe ! C’est MON JOUR.

A moins que les disciples du culte de l’annive soient tout bêtement restés de grands enfants, aussi excités à soixante-quinze qu’à six ans d’ouvrir leurs paquets et de danser, comme autrefois sur la danse des canards, avec tous leurs amis. Et si les gens qui adorent leur anniversaire étaient tout compte fait des gamins joyeux qui n’ont jamais vieilli ?

Le tripotage 2020 des Braniston, cet espoir fou que rien ne passe ni ne lasse

Ca doit avoir quelque chose avec l’enfance, ou la nostalgie, ou la totale incapacité de vieillir qu’ont les pauvres ères qui ont grandi dans les années 90. Toujours est-il que, quinze ans après (15 ANS), ils sont nombreux à avoir cette nuit pété les plombs et les Internets à la vue de cette photo déjà légendaire : Brad Pitt huggant son ex-wife Jennifer Aniston aux Sag Awards. Pendant près de 5500 jours après l’annonce funeste de leur rupture, toute une génération a toujours refusé la triste vérité. Comme des gamins qui croiraient dur comme fer que papa et maman vont se remettre ensemble. Bha oui, papa s’est fait retourner la tête par une méchante sorcière à grosse bouche et yeux diaboliques et il a planté maman avec ses beaux cheveux et son humour potache, mais il allait forcément revenir à la raison. Après six enfants avec la diabolique femme tatouée, on s’est mis à douter, forcément. Mais voilà qu’hier soir, Brad et Jen, tous deux célibataires, quinqua cool et encore tout à fait appétissants, se sont TOUCHÉS. Cheh, Angie ! Ca faisait un petit bout de temps qu’ils se tournaient autour. Jen avait invité Brad à sa sauterie de Noël. Ils étaient réunis la semaine dernière aux Golden globes. Mais JAMAIS depuis 2005 on ne les avait vus sur la même photo.

Et pourtant… Hier soir, après que Brad a remporté une nouvelle statuette et prononcé un discours trop cute (« Il faut que j’ajoute ça à mon profil Tinder », a-t-il déclaré en brandissant son trophée), il est parti backstage. De là-bas, il a assisté sur une petite télé au sacre de son ex, elle aussi lauréate. Les pros ont retenu leur souffle, parce qu’ils ont alors compris qu’ils allaient se croiser là-bas devant les bretzel et les gobelets de mousseux. Et bam ! Dans sa robe de satin blanc très Carolyn Besset, Jen a frotté son corps contre celui de son ex, touché son épaule et puis elle est partie comme ça, grand prince. Alors il l’a retenue par le poignet, comme le font les gars qui vous draguent en soirée quand vous feignez de les planter. Avec une sorte de tension sexuelle palpable (si, si, et puis de toute façon on a bien le droit de faire de l’interprétation gestuelle si on a envie).

Ce rapprochement des ex qu’on a tant aimés nous remplit de joie et d’excitation parce qu’il symbolise l’espoir que tout peut recommencer. Que rien ne passe ni ne lasse, qu’on ne vieillit guère et que l’amour ne meurt pas. Que les amours anciennes et inachevées ne sont pas forcément perdues, que sous les réseaux sociaux, le réchauffement climatique, le Blue Monday et la réforme des retraites, le cœur des ninetees bat toujours, et pourrait, pourquoi pas, nous ramener sans prévenir vers la douce insouciance de nos jeunes années. Chers Braniston, si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins pour nous !

Le Megxit, ce divorce fratricide qui ne dit pas son nom

Team Harry ou team William ? Depuis mercredi dernier, il va falloir choisir.

Le Megxit, pour ceux qui vivraient dans un monde absolument déconnecté de toute information, est le terme donné par les médias au souhait annoncé par Meghan Markle et le prince Harry de prendre leurs distances avec leurs fonctions officielles pour gagner leur vie au Canada (je la fais courte). Bref, une rupture brutale et inattendue (un Brexit, quoi) initiée selon eux par Meghan (un terme empreint de sexisme, donc, qui sous-entendrait que l’indomptable bru aurait pris cette décision seule, imposant à son nigaud mari sous influence une décision radicale qui changera le cour de sa vie et celui de la royauté).

De prime abord, cette « info » semble bien inintéressante. Sixième dans l’ordre d’accession au trône (après papa Charles, William, George, Charlotte et Louis), le coquin rouquin a de toute façon peu de chance de faire trembler quoi que ce soit par ses choix de vie, dont on se fout pas mal. D’autant que son tonton Edward, dont on a récemment découvert qu’il fricotait avec des mineures pendant son (looong) temps libre, n’a pas spécialement fait reluire cette place de cadet du king. Sauf que cette annonce n’est pas si anodine que cela.

Il faut savoir que les Sussex (qui, depuis quelques mois, construisent patiemment leur « marque » à coup de compte Insta à part de la millefa, de site perso léché, d’apparitions en mode Obama) ont bien des privilèges et des devoirs qui les lient au peuple britannique, ultra vénère par toute cette affaire. Suivis en permanence par une pléiade de gardes du corps payés par le contribuable, les ingrats aristos devront bien être protégés, au Canada ou ailleurs. Paieront-ils de leur poche ? Garderont-ils leur titre ? Seront-ils toujours présents sur les photos officielles (ou chez Madame Tussaud, haut-lieu du tourisme adolescent des petits frenchies) ? Peuvent-ils réellement exercer n’importe quel métier ? N’utilisent-ils pas la notoriété que leur offre la monarchie pour la faire fructifier ? Autant de questions que la reine, 93 ans et semble-t-il embarquée dans une nouvelle annus horibilis dont elle se serait bien passé, va tenter de régler aujourd’hui au cours d’une réunion au sommet qu’elle a convoquée en urgence. Charles, William, Harry et Meghan par call (« un nouveau participant a rejoint la conférence téléphonique »), ils seront tous devant The Queen pour tenter de démêler les nœuds de cette affaire. Ambiance.

Mais ce qui touche surtout dans cette affaire, qu’on appellera donc plutôt le Rouxit, c’est l’attitude de Harry vis à vis de sa famille. De sa mémé, déjà, qu’il n’a pas pris la peine de prévenir avant de balancer son scud (pour quelle raison, je vous prie ?). De son père, bien sûr. Mais surtout de son grand frère, celui-là même dont il était si proche, avec lequel il vécut des heures douloureuses et dont il semblait ne jamais se plaindre. Las, comme dans bien des familles, la vie a manifestement séparé la fratrie. Enfin, mettons-nous à sa place. Qui aurait envie de passer son existence dans l’ombre tutélaire de son aîné, amené à régner ? De sa parfaite petite famille bien peignée, de sa femme docile et sans défaut manifeste, de son destin monarchique ? Les temps ont changé, une personne extérieure au clan a rappliqué et réveillé la rébellion tapie de Dirty Harry. Il lui fallait se trouver un rôle, un trône à lui. Il n’allait pas, comme des kilomètres de générations avant lui, couper des rosiers et serrer pour toujours les paluches que le king n’aurait pas le temps d’étreindre. Harry souhaite semble-il épouser un destin, une notoriété bien à lui. Jouer les power couple outre Atlantique, détrôner Jay Z et Beyonce, gagner plus de likes que son frère, venger tous les cadets avant lui. Bref, divorcer pour mieux régner.

«J’ai toujours soutenu mon frère, mais aujourd’hui je ne suis plus en mesure de le faire. Nous sommes des entités séparées. Cela me rend triste», aurait déclaré Will, so sad qui, après la perte irrémédiable de ses cheveux, doit supporter une amputation supplémentaire de ses biens les plus précieux. Aujourd’hui, les deux petits orphelins écrasés de chagrin devant le cercueil de leur mère, unis par les souvenirs et l’injonction d’apprendre à vivre sans elle, mais en pouvant compter l’un sur l’autre, semblent avoir été irrémédiablement désunis par la vie.

Et ça me fout bien le bourdon.

 

« Je te rappelle dans 5 minutes »

Il y a deux catégories de gens. Ceux qui prennent les mots pour argent comptant (moi), et les autres. Quelqu’un comme moi, par exemple, si on lui demande « ça va ? », va vraiment croire qu’on veut de ses nouvelles, et se préparera à répondre alors que son interlocuteur est déjà parti sur autre chose, ou parti tout court en fait. Idem, si on me dit « je te rappelle dans 5 minutes », je crois vraiment que 5 minutes plus tard, le téléphone va sonner…

Alors je reste devant l’objet. Sans bouger. Sans oser faire pipi ni rien, ni même boulotter un bonbon on ne sait jamais. Aaaah, 4 minutes. Attention je mets bien le volume de mon tel, au cas où j’entendrais pas la sonnerie, ça serait idiot. Et tiens, si j’allais me faire un thé en attendant ? Nan c’est con. Un thé, ça prend plus que 4 minutes. 3 minutes 58 en fait maintenant. Non, le temps de mettre l’eau dans la bouilloire, d’attendre que ça chauffe, de verser le tout dans la tasse et ahhh, mais rien qu’à réfléchir, là, il me reste que 2 minutes 50 maintenant. La pression monte. Elle a dit 5 minutes. « Je vous rappelle dans 5 minutes pour vous dire où est votre commande Zara ». C’est vrai, ça fait deux semaines que je l’attends, ma commande. Il y a deux jours, j’ai eu quelqu’un du service client qui m’a dit de ne pas m’inquiéter. Que la commande arriverait hier. Alors je me suis pas inquiétée, hein. Je fais ce qu’on me dit, moi. J’ai attendu docilement devant ma boîte aux lettres. Elle a dit hier. Alors le colis va arriver, forcément. Et puis non, en fait, rien n’est arrivé. Alors j’ai rappelé, redonné mon numéro de commande et pas si vite madame, je note. Et la dame a regardé l’état de ma commande, comme j’avais déjà fait dans mon compte client, en fait. Et elle a dit « ah, c’est bizarre ». Oui, c’est sûr, c’est bizarre. Surtout qu’elle devait arriver hier vous m’aviez dit, j’ai dit. Elle a dit que c’était pas elle qui avait dit ça, qu’ils sont nombreux, au service clients. Mais qu’elle allait se renseigner, qu’elle me rappelait dans 5 minutes. J’ai confiance. Maintenant, dans 1 minute 02, elle va rappeler. Elle va me dire où sont mon trench, mon haut à boutons dorés qui n’est plus disponible sur le site ni en magasin et mon serre-tête catho que mon mec va trouver ignoble. 37 secondes. Merde mon téléphone sonne mais ça n’est pas la dame. C’est un recruteur à qui j’avais envoyé mon CV. Merde merde, je peux pas répondre. Ca tombe vraiment mal mais dans 27 secondes, la dame de Zara va rappeler. Si je réponds au recruteur je vais tout faire capoter. On a rendez-vous, la dame et moi. Et moi, je suis polie. Une promesse est une promesse. Le recruteur est basculé sur messagerie. J’attends. Il va laisser un message c’est sûr. 0 seconde. Je me racle la gorge, fais des vocalises. Babeubibobuuuuuu. La dame de Zara va rappeler. Ah, tiens, elle a dix secondes de retard. Mais bon, je suis un peu à cheval sur les horaires, j’avoue. Peut-être qu’elle aussi elle est tombée sur une collègue qui lui a posé une question dans un couloir alors qu’elle courait à son poste pour notre rendez-vous téléphonique (« ça va ton fils ? » / « tu pars à la Toussaint ? » / « Bha nan tu sais bien qu’on est au Vanuatu pour coûter moins cher à Zara, ici c’est pas les mêmes vacances scolaires – ah ouais chus con »). 2 minutes de retard. Je suis pas folle, elle a bien dit 5 minutes. Ah tiens, le recruteur a pas laissé de message. C’est con quand même, si j’avais su, j’aurais pu lui répondre.

Une heure plus tard, j’ai vraiment trop envie de faire pipi. J’emporte quand même mon téléphone au cazou (oui, j’ai honte mais elle est quand même pas bien polie cette dame de chez Zara. Et puis pas sûr que du Vanuatu, elle entende un bruit de pipi).

Une journée plus tard, je dois me rendre à l’évidence. Elle a zappé notre rendève. Mais elle rappellera, forcément. Non ?

Et je me rappelle soudain de ce type qu’une copine à moi avait chopé en boîte quand on avait quinze ans, dont on avait dégoté le numéro et qu’on avait appelé le lendemain, surexcitées. « Je te rappelle dans 5 minutes », il avait dit, quand elle avait énoncé son blabla. On était tellement excitées, devant son fixe à grosses touches, prêtes à bondir. C’était il y a près de trente ans…

Alors à tous les disciples de David Parienti, ghosteurs professionnels, pleutres services clients, plans cul foireux ou hâbleurs et autres mythos du call back qui vaquent tranquillement à leurs occupations pendant qu’une partie de l’humanité attend logiquement devant son téléphone, allez vous faire foutre ! Non mais.

Le décommandage

Jeudi soir, 18h45, quelque part dans Paris.

– Allô ? Ouais, t’as bientôt fini ? Nan c’était pour voir avec toi, t’y vas à quelle heure au vernissage d’Emilie ? Tu t’habilles comment ?

– Pfffff chais pas ! T’y vas, toi ?

– Bha chais pas, c’est ce qu’on avait dit nan ?

– Bha ouais. Enfin, dit… On l’avait évoqué, quoi.

– Oui.

– C’est à quelle heure, déjà ?

– A partir de 19h.

– What ? Nan mais laisse tomber, c’est super tôt !

– Je sais. En plus, il pleut.

– Ah ouais, il pleut ?

– Nan, pas encore vraiment vraiment mais ça va pas tarder. C’est ce qu’ils disent sur l’iPhone, en tous cas.

– T’avais pas dit que tu croyais plus la météo de l’iPhone ?

– Mmh, n’empêche qu’ils disent aussi que Paris est complètement bouché. Impraticable. C’est très chaud de bouger, là. Sans mauvaise volonté, hein.

– Grave, complètement. C’est où, déjà ?

– Dans le 8e !

– Hein ? Mais qu’est-ce que c’est que ce vernissage chelou ?

– Je sais ! Genre vers les Champs !

– Quoi, les Champs ? Nan mais elle charrie, quand même. On n’a pas idée de faire déplacer les gens un jeudi soir, et en plus sur les Champs.

– Grave. C’est abusé.

– Franchement, c’est pas que j’ai pas envie d’y aller mais elle y met vraiment pas du sien, avec son orga.

– J’avoue. Surtout que bon, si je me souviens bien, quand on l’a croisée et qu’on lui a dit qu’on venait, elle a pas non plus sauté de joie, hein.

– Nan, t’as raison. Bon, elle avait l’air contente. Mais elle pas non plus hurlé de joie c’est vrai.

– Ouais. Bon, après, elle nous a quand même envoyé les cartons par courrier.

– Mmh…

– Enfin, si ça se trouve, elle a une secrétaire ou quelqu’un qui le fait pour elle, qui en envoie plein à n’importe qui.

– Ouais, et si ça se trouve elle a peut-être invité trop de monde, et elle rêve que certains se décommandent.

– C’est clair.

– Mmh…

…..

– Dis-moi, elle est jamais venue voir ton bébé, finalement ?

– T’as raison, jamais ! Attends mais ça se fait pas j’avais zappé.

– Mmh…

…..

– Nan mais en plus je suis sortie hier soir, je me sens toute bizarre. Genre malade, tu vois. J’ai des frissons, je voudrais pas refiler mes microbes à tout le monde. Limite c’est un service que je rends à la société.

– Arrête, je rêve de me foutre en grenouillère sous un plaid devant Netflix.

– Viens, on annule.

– Han, mais t’es FOLLE. On peut PAS.

– Tu crois ?

– Chais pas.

– Mais… on dirait quoi ?

– Bha on dit pas la même chose, déjà. Moi je peux dire que la petite se sent pas bien.

– Ah nan, tu me prends pas l’enfant malade !

– Si, je l’ai dit en premier !

– Bitch. Mais je dis quoi, moi, alors ?

– Rien.

– Rien ?

– Ouais, envoie rien, c’est mieux. C’est comme les gens qui viennent te dire au revoir en pleine soirée, ça fout le bourdon à tout le monde. Mieux vaut partir discrétos.

– Tu crois ?

– Ouais. Carrément.

– T’as raison. Et puis de toute façon, moi, le champagne tiède…

– Mmmh. Bon bha c’est réglé en tous cas.

– Mmh.

– Tu veux passer à la maison ?

– Grave !

– Génial. 21h ?

– Parfait ! A toute !

– A toute !

 

Ces gens qui trouvent stylé d’arriver à l’arrache à l’aéroport

« Il est à quelle heure, l’avion ? »

Quand on part en vacances, et alors qu’on a éventré la moitié de son placard au milieu du salon, réussi à réunir des couples de chaussettes en nombre suffisant, enfermé des monceaux de produits de beauté dans des ziplocs au futur bien sombre, vient fatalement le sujet du départ. Le vrai. Celui qui se fait bien souvent à cinq du mat, après une nuit d’angoisse passée à rêver, en sueur, que pour la première fois de notre existence le réveil n’a pas sonné, et que les enfants se sont réveillés à midi.

Et là il y a deux écoles.

– La première, la mienne. Celle des gens qui aiment aller à l’aéroport, lieu qu’ils considèrent comme une première étape de villégiature fort agréable. Qui adorent trainasser au Relay H pour acheter des monceaux de revues improbables, des Maltesers et des best-sellers qui pèsent un âne mort, s’attabler au Starbucks avant même d’avoir passé la sécurité, faire du lèche-vitrines à la pharmacie, acheter à prix d’or des produits de beauté Clarins et du maquillage Chanel, de la vodka en bouteille de 5 litres, des cartouches de clopes par nostalgie et parce que c’est moins cher, du parfum parce que décoller c’est un peu changer de vie, et puis faire pipi aussi parce qu’il faut bien évacuer le mocha grande à 6,80 euros. Bref il y a donc l’école de ceux qui ont besoin de quatre grosses heures pré-embarquement pour se sentir BIEN. Et puis aussi parce qu’on ne sait JAMAIS ce qui peut arriver. Un arbre en travers de l’autoroute, le taxi qui tombe en panne d’essence, qu’on se soit trompé d’aéroport (« Roissy, c’est bien Charles de Gaulles ? T’es sûr ? Hein ?? ») ou un changement d’heure dans la nuit duquel on n’ait pas été avisé.

– Et puis il y a l’autre « école » (enfin « école »…), celle de mon mec. Soit celle des gens qui disent, hyper fiers : « L’avion est à 10h20 ? Pfff, partons à 8h45, on sera large ». Et qui se moquent ouvertement de vous lorsque vous écarquillez des yeux, au bord de l’apoplexie devant tant de nonchalance temporelle crasse. Et la personne de cette « école » de vous rétorquer chaque fois : « Mais, on a déjà enregistré ! On peut arriver jusqu’à 9h27, on ne va quand même pas partir trois heures avant. » Comme si ne pas flirter avec cet irrémédiable danger qui clignote – avion / raté / avion / raté / vacances / annulées / billets / repayer – avait quelque chose d’un peu ridicule, mémère. Et le petit rire énervant qui subsiste tout le long du voyage en taxi alors que je suis cramponnée à mon sac à main, les mains moites, fixant le temps qui court (couhouhouuurt) sur le cadran de la montre, sous les euros qui s’entassent au compteur, et que j’imagine les autres passagers, sereins, heureux entre covoyageurs de la même espèce, prenant joyeusement place en salle d’embarquement alors que notre véhicule s’immobilise dans un bouchon impromptu et que je me visualise sortant en hurlant avec ma valise à roulettes pour faire les derniers kilomètres en courant sur la bande d’arrêt d’urgence.

Chez nous, on fait en gros une fois sur deux. Une fois avec « mes » horaires (comme on dit « ton » restau à celui qui a réservé dans un endroit qui s’avère dégueu comme s’il était en cuisine), une fois avec « les siens ». Ce matin, je me suis laissée porter, bien décidée à ne pas regarder ma montre, tant pis, on le raterait, on n’avait pas de correspondance. La bagnole s’est immobilisée dans une grosse chaine de taxis affolés. « Ca va, il nous reste douze minutes pour déposer nos bagages, on est enregistrés », a dit crânement mon mec, une goutte de sueur perlant discrètement sur son front. Au dépose-bagages automatique auquel personne ne comprend rien ni où on scanne ces foutues immense étiquettes à code-barre, ça se bousculait sévère. Ca a pris une plombe. Et puis on a vu la queue en serpentins interminables à la sécurité, et ses centaines de voyageurs partis en avance derrière lesquels il a bien fallu patienter, avec notre avion dont le pilote avait certainement déjà mis le contact (« vroum vroummmm, tout le monde est là ? »). Mon cœur s’est arrêté, ma respiration s’est bloquée, mon ventre s’est noué. A quelques mètres des portiques, mon mec a dit : « merde, l’avion ferme ses portes dans 4 minutes ». Alors, on a dû passer devant tout le monde (la honte), balancer sur le tapis l’ordi, nos sacs, les lunettes et tout le tintouin, attendre que la douane comprenne que les talkie-walkies de mon fils ne servaient pas à fomenter un terrible attentat, fourrer n’importe comment les affaires dans nos sacs éventrés et puis courir, courir dans les allées de l’aéroport, regarder avec tristesse le Duty-Free clignoter, cracher nos poumons en cherchant la porte D66 et arriver, enfin, devant le comptoir pas encore ouvert parce que l’avion avait du retard. Et alors mon mec m’a regardé avec son sourire énervant et il m’a dit :

« Tu vois, c’était pas la peine de se presser. »

 

« Toi qui as le temps »

Avant, j’étais au bureau de 9h à 19h, avec 30 minutes de métro collées aux extrémités, une petite session d’écriture de l’aube certains jours, le tunnel « dîner/bain/dents/histoire » au bout, avant d’échouer comme une épave, mon sac encore pendu à l’épaule, à l’heure où même Hanouna a rendu l’antenne. Bref, j’étais la « fille qui n’a pas le temps ». Et puis un jour, à la faveur d’un changement professionnel, je suis passée du côté obscur des… « Toi qui as le temps ».

Femmes au foyer, en congé maternité, chômeurs de courte ou longue date, retraités, auteurs, pigistes, étudiants, 4/5e-istes et télétravailleurs, vous vous reconnaîtrez en cette catégorie d’individus dans laquelle je me suis malgré moi retrouvée catapultée du jour au lendemain, perdant peu à peu la notion du devoir ou du service, et même mes repères spatio-temporels avant d’apprendre à dire non.

« Tiens, toi qui as le temps… tu pourrais pas aller chercher Gaspard au judo / passer au pressing / regarder toutes les destinations pour les vacances de cet été / prendre nos billets de train / appeler Free pour demander une nouvelle télécommande / attendre le type d’EDF qui doit passer entre 7h et 23h30 / faire un grand rangement dans les placards de la cuisine / aller chercher mes trucs Amazon au Point Relay / appeler Free pour leur dire que la Box marche plus / défoncer Deliveroo qui nous a facturé deux fois en octobre 2016 / te renseigner sur les modalités de désabonnement à mes 132 newsletters / aller chercher mon recommandé à la poste / appeler le syndic / préparer un osso bucco pour le dîner de jeudi / racheter des pompes de foot aux enfants / appeler Free pour leur demander pourquoi on n’a plus BFM / chercher la clé de la cave qu’on a perdue au XXe siècle… ? »

En quelques jours, mon emploi du temps était full, archi plein à craquer d’activités que j’acceptais, évidemment, pleine de la culpabilité du oisif apparent, qui « pouvait bien », c’est vrai, « rendre un petit service » (entendez : plutôt que de trainer en fute Domyos sur son canapé en enculant les mouches). Oui, sacro-saints salariés à temps complets soumis au libéralisme économique de la société occidentale, je SAIS ce que vous pensez, quand vous visualisez les « toi qui as le temps » dans mon genre. Vous vous dites « après tout, qu’est-ce qu’elle a d’autre à foutre ? », voire même que ces activités extra-glandouilles devraient représenter une aubaine, une joie même, l’occasion inespérée de pouvoir enfiler enfin des fringues propres et des chaussures pour me frotter à nouveau avec bonheur au monde réel (celui des hotlines et des PTT) .

Eh bien non ! Sachez-le, nous autres « Toi qui as le temps » avons d’autres vies que les vôtres certes mais non dépourvues d’obligations et de plaisirs assumés qui n’ont point besoin d’être comblés par des tâches qui nous font « bien plaisir » et masquent le néant de nos existences. Parfois, vous vous dites « rho mais comme par hasard elle a un déjeuner JUSTE le jour où j’avais besoin qu’elle vienne nourrir le chat », ou d’autres trucs comme « avec tout le temps qu’elle a, elle est même pas foutue d’être à l’heure / de racheter du lait. A se demander ce qu’elle fait. » Replongez donc dans le présentéisme de réunions où le temps est siiii bien utilisé, va. Nous, on trouvera bien à s’occuper. Allez, je retourne sur mon canap’.