Le gang des « mamans prévoyantes »

A chaque début de saison c’est la même chose. Vous attendez paisiblement que la précédente s’efface à pas feutrés, laissant poliment sa place à la suivante, avant de lever subitement la tête. Ahurie. Ou plutôt, en bad. Exaspérée par votre incapacité à apprendre de vos expériences passées. Oui, parce qu’à chaque nouvelle saison depuis maintenant des années (moins si vous débutez dans le secteur de la maternité), vous vous faites royalement carotte par le gang des « mamans prévoyantes ».

Mais si, vous savez, ce groupuscule intimidant de mères qui consignent bien au fond de leur tête, avec la précision d’un codeur de la Nasa, les dates auxquelles il est fortement recommandé de filer en boutique pour tout rafler avant qu’il ne soit trop tard. Les bonnets, moufles, gants et collants avant octobre. Les slips, intercalaires multicolores, agendas, feutres effaçables, cartables et cartouches bleues avant mi-août. Les maillots de bains, shorts, lunettes de soleil et sandales avant les premiers sursauts du mercure. Ouais, en plein mois de mars, elles sont là. En embuscade, organisées, silencieuses, à remplir leurs paniers d’été avec une discipline toute germanique pendant que vous, cigales naïves, vous en êtes encore à vous congratuler d’avoir dégoté en ligne (à 15 euros la livraison depuis l’Antarctique) un pull en laine pour le petit dernier qui se les pelait depuis des semaines (le Monop’ ayant évidemment été dévalisé par ladite mamafia). Résultat, quand vous vous rendez enfin compte que ce serait pas mal de choper une casquette pour les kids rapport au soleil qui tape pendant les barbecs du mois de juin (« Mamaaaan, ça brûle ! »), ou que vous découvrez avec horreur de la liste infinie du trousseau de colo, c’est trop tard. Elles ont agi. Encore une fois.

« Vous n’auriez pas des brassards », demandez-vous alors, penaude, au monsieur de chez Décathlon, qui part dans un éclat de rire sardonique devant votre pitoyable désorganisation maternelle. « MOUWAHAHAHAHAHAHA ! M’enfin madame, on est sur les crampons pour septembre, là. » (intérieurement : « Elle a pas la lumière à tous les étages, celle-là…Pauvres gosses ! ») Ah, et… vous savez où je pourrais en trouver ?

Sachez-le. Si vous faites partie de ces gens qui ne savent pas ce qu’ils font au mois d’août suivant dès septembre, ou qui n’arrivent pas à acheter un billet de concert pour dans deux ans, le gang aura toujours un bon train d’avance. Trop rapide, au courant de tout, il aura toujours acheté, désétiqueté, lavé, repassé et cousu au nom de son enfant toute la marchandise saisonnière disponible sur le marché.

Petite consolation : lorsque, emplie de rage et de cette force maternelle immense surgie du tragique de la situation, vous parviendrez finalement à mettre dans un panier de eshopping le dernier bob en 7 ans de tout le réseau mondial, vous serez alors envahie par un sentiment de fierté inestimable, probablement proche de celui expérimenté par une daronne préhistorique parvenue à fabriquer un sac à dos en peau de mamouth à son petit dernier ébahi devant tant d’ingéniosité (« T’es vraiment trop forte, maman »).

Un sentiment qui ne gagne plus depuis bien longtemps les membres du réseau précité. Blasé. HAHA, on fait moins les malignes, hein ?

Cheh, le gang !

L’odeur des fournitures

fournituresAujourd’hui, alors que je déjeunais avec une copine, elle eut cette phrase étrange :

«  Je comprends pas, mes sœurs arrêtent pas de parler des fournitures de leurs gosses ! C’est quoi le délire avec les fournitures ? »

Le délire avec les fournitures ? Mais voyons…

N’a-t-elle jamais ressenti ce frisson qui vous envahit lorsque, à l’approche de la rentrée, vous osez une Ked’s à la papeterie scolaire, plongeant avec délice le nez dans les manuels neufs encore pleins de cette inégalable odeur que l’on retrouve parfois, adulte, dans les livres grand format ? N’a-t-elle jamais feuilleté un agenda Quo Vadis vierge, encore, des centaines de devoirs consignés avec angoisse sous la dictée de profs cruels, mais aussi tagués de toute part de petits mots, de savantes études scientifiques destinées à calculer le quotient d’amour potentiel entre vous et Sylvain Breil [compter le nombre de « A », de « M »… de « R » présents dans vos deux noms, additionnez et ramenez à un total inférieur à 100], de photos d’Eden et Cruz et de milliers d’arabesques crayonnées avec ennui ? Est-elle passé à côté de ce divin plaisir qui consiste à entasser, les soirs de rentrée, bics quatre couleurs, feutres plumes, cartouches Waterman ou Schaeffer, effaceurs, Ty-Pex dernier cri, cahiers grands carreaux grand format, petits carreaux petit format, grand format moyens carreaux sans spirales 102 pages au lieu des 140 habituelles introuvable, exigé par un prof psychopathe et sadique qui fera s’arracher les cheveux à tous les parents du quartier (« Naaaan maman il a dit moyeeeeens carreaux !!! Je peux paaaaaas débarquer avec des grands carreaux je vais me faire TUER !! ») ?

A-t-elle oublié les heures passées à regarder sa mère, si touchante dans ce rôle qu’elle exècre, appliquée sur la table de la cuisine à recouvrir, à la nuit tombée, des monceaux de livres, pliant avec précaution le coûteux plastique acheté au kilomètre, essayant de ne pas en scotcher les bords pour pouvoir revendre, l’année d’après, le bouquin acheté à prix d’or et ouvert deux fois dans l’année ?

Stylos plumes, rapporteurs, compas, colle Cléopatre, UHU, trousse Hervé Chapelier, classeur A4, fiches bristol, papier millimétré, papier Canson, cartable Tann’s, papier calque, ciseaux Fiskar, blouse de chimie, gouache, pinceaux, godet, flûte à bec, étiquettes rectangulaires, à bouts ronds, feutres, Caran d’Ache, intercalaires en plastique, en papier, cahier de texte, Stabilo Boss, calculatrice fx82b, rapporteur, compas, équerre, double décimètre, Caminos de Idioma, Criterium, Clairefontaine et Super Conquérant… Ils furent, des années durant, le centre de notre petit monde construit autour de l’emploi du temps tant attendu, et collé, en ce jour de rentrée, sur la première page de l’agenda.

Et si aujourd’hui, malgré les iPad, les iPods, les smartphones, les sextos, les twitts et les profils Facebook, les fournitures tiennent encore une belle place dans le quotidien de nos malheureux écoliers (qu’on plaint, soyons honnêtes. N’oublions pas que, le dimanche soir, ils ne peuvent pas mater tranquillement L’Equipe du dimanche ou 7 à 8 mais doivent plonger avec des envies de suicide la tête dans leur cartable laissé à l’abandon dans l’entrée, deux jours durant), tant mieux. « Un bon ouvrier a toujours son matériel », nous répétaient-ils, ces profs acariâtres qui dictaient leur liste de doléances.

Ce qui est sûr, c’est qu’il m’est toujours bien plus facile de me mettre à bosser, aujourd’hui encore avec un stylo et un cahier neuf (ou de faire le ménage avec un nouveau Cif et une belle Spontex qui fleure bon, ou d’aller à un rancard avec des pompes jamais portées).

Sur ce, je vous laisse, je pars m’offrir un Moleskine.

On ne se refait pas.