Etre ou ne pas être « jitébeule »

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Bret Easton Ellis, génie littéraire du siècle dernier devenu twittos obsessionnel boutonneux, l’avait bien prédit lorsqu’il avait annoncé que pour devenir un écrivain (re)connu, il faudrait maintenant être Madonna. Entendez par là que le 21e siècle n’offrira sa divine célébrité qu’à ceux qui savent se vendre.

Hier soir, Lena Lutaud, admirable journaliste people du Figaro, donnait une interview croustillante au Petit Journal de Yann Barthès, dévoilant les coulisses du dossier qu’elle venait de publier sur les acteurs français les mieux payés du moment. Outre le fait que l’on apprenait que notre gentil ch’ti Danyboon avait tenté de faire pression sur le quotidien pour empêcher la parution de l’article (il est premier du palmarès), menaçant de ne plus jamais lui donner d’interview (des menaces, toujours des menaces), ou que Marion Cotillard, gentille baba sans histoire, refusait catégoriquement de se déplacer sans John Nollet, le coiffeur des stars, Lena nous faisait également découvrir ce mot qui résume si bien notre époque, et que je ne me priverai pas d’utiliser fréquemment à l’avenir : jitébeule (« JT-able »).

Jitébeule, c’est quoi ? C’est un artiste capable de passer au JT, ou chez Ruquier, ou chez Sabatier, avec aisance, humour et décontraction ; bref, ce que l’on appelait dans le temps un « bon client ». Un artiste – acteur, chanteur ou auteur – est avant tout un produit et l’époque où, fébrilement cloîtré dans son atelier, il pouvait créer en toute quiétude sans avoir à marcher en diagonale chez Arthur semble bien révolue. Lutaud ajoutait que pour beaucoup de producteurs, le choix d’un acteur se faisait même en amont du casting selon son degré de jitébeulisme. Ainsi, un formidable comédien autiste se fera-t-il fatalement souffler ses rôles par un pétomane populaire de niveau honorable voire médiocre. Raison pour laquelle, au demeurant, on tourne autour de la même pléaide redondante d’acteurs sympathiques depuis dix ans dans le cinéma français. Etre artiste en 2013 et ne pas jouer le jeu de la promo équivaudrait à un suicide professionnel.

Pour l’acteur timide et peu disert, une seule solution pour survivre : provoquer (quitter le plateau, faire faux bond, soutenir Depardieu, fumer une clope à l’antenne). Twitter, Facebook et une énorme propension à l’exhibitionnisme (auprès des fans et des « gens du métier ») par la jeune garde du métier auront ajouté au jitébeulisme télé un facteur supplémentaire de prostitution médiatique via les réseaux sociaux. Forcé d’appâter le chaland pour avoir le privilège de faire connaître son œuvre, le créateur devra revêtir ses habits de lumière et faire le trottoir.

Le jitébeulisme aurait-il signé la mort de l’art, comme vous serez certainement nombreux à le penser ? Pas forcément. N’est-ce pas grâce aux ventes gargantuesques des romans annuels de Marc Levy, beau gosse cultivé et spirituel adulé des animateurs télé, que Robert Laffont peut, chaque année, publier les premiers romans d’écrivains qui, jitébeules ou pas, ne seront de toute façon jamais invités chez Denisot ? D’autre part, on peut être à la fois le plus jitébeule d’entre nous, refaire sa tête de chameau pour la 1000e fois sans exprimer la moindre lassitude mais aussi rapporter en métropole la première statuette dorée jamais offerte  au pays. Ah, Jean…(soupir)

Quant au jitébeulisme, il peut parfois être pratiqué avec un excès qui finira par agacer plus qu’il ne séduira : Lucchini, Mathilde Seigner ou Franck Dubosc, s’ils sont toujours bankable, peuvent néanmoins créer un trop-plein chez le téléspectateur, lassé d’assister trop fréquemment au show rabâché de ces comédiens venus vendre leur soupe et leurs fesses sur les plateaux.  Finalement, pourquoi se déplaceraient-ils pour en reprendre une dose supplémentaire (tout ça pour 10 euros, en plus !) ?

En bref, entre bankable et jitébeule, en 2013, le pipeule va devoir jouer serrer.