Les médias ne parlent déjà plus que du Bac, cet examen un rien suranné que, pourtant, une grande partie des français continuent de passer chaque année avec la même discipline, le même stress, la même conscience que quelque chose de vraiment important est en train de se passer, que ses parents avant soi ont connu, que ses enfants connaîtront peut-être. C’est au mois de mai que tout s’agite soudainement, qu’on réalise avec effroi qu’il ne reste plus que 19 jours avant la date fatidique.
Alors on s’installe devant ce bureau tant de fois ignoré pour aller refaire le monde au bistrot du coin en fumant clope sur clope devant un unique café payé 5,50 Francs, une fortune. Et c’est devant une fenêtre béante, au son des oiseaux, qu’on ouvre enfin ses cahiers grands formats grands carreaux, ses annales du Bac, ses profils de l’œuvre, qu’on ressort ses bacs blancs, et qu’on consigne tout ça sur des fiches Bristol colorées format A5. Ces fiches, on les feuillettera ensuite avec l’énergie du désespoir, celui de ne pas avoir su retenir au fur et à mesure ces putain de formules mathématiques que l’on n’a même plus le temps de chercher à comprendre. C’est le dos à ce même bureau que, lors de chaudes soirées de fin de printemps, on se fera fatalement happer par un match à rallonge de Roland Garros – sponsor officiel de l’échec aux examens -, hypnotisé par la terre ocre, pleurant d’émotion devant des victoires à l’arrachée d’un Agassi revenu de l’enfer, tutoyant à nouveau les Dieux de la petite balle jaune. Allez, encore un jeu et je m’y remets !
Les jours défilant, et alors qu’il devient manifestement impossible de faire machine arrière, c’est sur la cabine de la douche qu’on scotche la superficie de la Côte d’Ivoire (322 000 km2, jamais oublié) ou les noms des ministres de la IVe République, la tête pleine à craquer d’informations diverses et volumineuses, lesquelles commencent sérieusement à nous empêcher de dormir. A moins que ce ne soit tous ces Guronzan indigestes avalés chaque matin avant les « barres mémoires » magiques achetées par maman (« j’sens rien, il marche p’têtre pas, le mien ? »).
Soudain grisé par le rythme quasi monastique imposé par ces révisions forcées, on se prend alors à apprécier avec un plaisir masochiste cette discipline militaire, de celles qui vous font vous sentir fier, dans les clous, le sentiment du devoir accompli comme après deux heures au Gymnase Club.
La veille du jour J, on mange avec ses parents ou sa mère s’ils sont divorcés. On réfléchit mille fois à l’heure à laquelle mettre son réveil à aiguilles. On tourne et retourne entre les draps, pas aidé par la moiteur de juin. On se relève pour checker qu’on a bien sa carte d’identité en carton beige (merde, un peu déchirée) et sa trousse Hervé Chapelier. Plume, effaceur, compas, criterium, rapporteur, gomme, cartouches, typex. Tout y est. Ouf.
Dans la voiture, le parent parle beaucoup. Cabrol donne la météo à la radio. On prend place dans la salle de classe inconnue de ce lycée qu’est dans un quartier où on n’a même jamais mis les pieds. Les feuilles gris-blanc arrivent. On y écrit son prénom, son nom et son matricule, grave, dans le coin droit intimidant qu’il faut ensuite replier, lécher et coller.
Et puis en quelques jours, tout sera soudainement fini. Comme ça, sans prévenir, une fin de journée qu’on n’aura pas vue venir parce qu’on « avait physique » et que c’était alors tout ce qui comptait dans cet horizon plein de Ln de x et de Petit Clamart.
On se donnera rendez-vous dans un bar ou sur les bords d’un canal pour boire des bières tard dans la nuit, enfin libéré de ce poids encombrant, ce bruit sourd qu’on se traîe depuis septembre, ou plus encore. Chacun a fait ses vœux pour l’avenir. Qui ira en médecine, qui en droit, qui en prépa. Personne ne sait bien à quoi correspondent tous ces trucs-là, et puis de toute façon c’est pour dans trois mois, une éternité. Chaque soir on sortira, enchaînant les journées ensoleillées passées tous ensemble dans une béatitude inattendue avec les soirées de flirt de ce qui s’avérera être une parenthèse enchantée, de celles que jamais on ne revivra car la vie ne sera tout simplement plus jamais la même.
Rencontres, vie commune, mariages, naissances… D’autres bonheurs viendront alors ponctuer cette existence sournoisement basculée dans son second tome à partir de ce fameux jour, le dernier de cette épreuve arbitrairement choisie pour marquer le passage obligé où l’enfance doit bien s’en aller.