Vous souvenez-vous du 16 pour sortir ?

Amis fossiles de la génération X, vous souvenez-vous de ce temps pas si lointain où le politiquement correct n’était pas encore enraciné et où, logiquement, nous avions posé un code pour entrer et sortir de Paris ?

Aux natifs post-85, et ils sont (malheureusement et mystérieusement) de plus en plus nombreux, lisez bien ce flash-back pour comprendre d’où viennent vos aînés. Si les baby-boomers ont eu le 22 à Asnières, nous avons eu le « 16 pour sortir ». « Quoi çaaaaa ? », comme dirait mon fils…

Retour au siècle dernier. Visualisons en noir et blanc pour l’ambiance (ou en jaune « Traffic » selon vos préférences). Eté 87, vous avez été collé chez votre grand-mère parce que vos parents ne peuvent pas vous garder pendant deux mois de vacances. Aujourd’hui, vous comprenez mieux cette impossibilité qu’avaient vos darons de vous garder pendant toutes les « grandes vacances » puisque que les parents c’est maintenant vous et que vous n’avez effectivement ni l’envie ni le pouvoir de jouer aux Lego à la maison pendant 70 jours, et que c’est quand même un kiff de pouvoir se débarrasser des gosses en plein mois de juillet pour aller s’envoyer des binouzes en terrasses. Mais c’est une autre histoire. Retour chez mamie. Vous regardez donc la retransmission en direct du Tour de France sur Antenne 2 avec votre pépé dans une chaleur estivale normale parce que à l’époque y’avait des saisons ma petite dame. Simultanément, vous tripotez avec ennui un rubik’s cube aux étiquettes décollées ou tentez de faire des arrondis sur votre ardoise magique pour occuper vos doigts parce que vous n’avez pas de smartphone. Plus tard, quand pépé sera allé faire les commissions au Felix Potin pour rapporter du Banga, vous en profiterez pour zapper à la main sur les boutons protégés par un petit clapet en plastique du gros poste de télé un peu poussiéreux, et vous actionnerez sagement trois fois le « plus » pour atteindre la 5 et mater en loozedé Marie Takigawa et Jeanne Azouki jouer au volley. Vers 19h, votre grand-mère viendra vous chercher pour que vous appeliez maman. Vous vous assiérez sur la chaise spécial téléphone, devant un guéridon porte-téléphone éventuellement recouvert d’une petite broderie spéciale « je protège la table spéciale téléphone du téléphone au cas où il serait sale» puis, donc, vous vous saisirez dudit téléphone, lors que votre grand-mère collera le petit écouteur (très pratique !) placé derrière à son oreille après en avoir déclispé les boucles. Et c’est là qu’intervient notre propos. Votre maman (habite et) travaille à Paris, mais (les pauvres !) pas vos grands-parents. Votre grand-mère vous dira alors cette phrase fort énigmatique pour les générations actuelles : « N’oublie pas de faire le 16 / 1 ».

Explication : Le 25 octobre 1985, il a été très judicieusement décidé que la France serait téléphoniquement divisée en deux zones : Paris et le reste du monde. Euh… non, le reste du pays. En effet, entrer et sortir du cortex ne se faisait pas si facilement ! Non madame, on n’entrait pas à la capitale comme dans un moulin ! Quand on appelait de la province, on faisait le 16, déjà, parce que c’était un appel « interzone », puis le « 1 » parce qu’on entrait DANS PARIS. Après, vous étiez pas sûrs sûrs de rentrer non plus. Non, ça c’est pas vrai. Imaginez : « Oh, le provincial, là ! Ouais, toi là-bas le bouseux ! T’as fait ton 1 ? Non ? Bha tu sors ! Non mais, il se croit où, lui ? »

Qu’il est étonnant de se remémorer avec quel naturel nous avions alors accepté la mise en place de cette frontière virtuelle d’un snobisme effarant. On oublie ces choses-là et pourtant Paris a donc eu son mur « 1 », ses barbelés numériques, son cordon de sécurité… Bref, son videur, son Bak, quoi. Le 16 est tombé le 18 octobre 1996, ramenant l’Ile de France à sa triste condition de quidam parmi les départements français. Paris a ouvert ses frontières et plus personne ne se souvient du 16 Bziiiiiiiiiiiiiiiiiiii 1 tuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu 368 27 24. « Allô maman ? J’m’ennuiiiiiiie ! »