Promotion 95, levez le doigt ! Vous en étiez, comme moi, de cette première mousson du S, du L et du ES, qui laissait choir ses prédécesseurs du côté des croûtons au diplôme à l’intitulé incompréhensible pour les générations futures. Cette année-là, vous l’avez passée dans l’angoisse plus ou moins permanente de cette épreuve finale qui viendrait couronner (ou non) les 15 années (15 ANS !) d’une scolarité cahotique où s’étaient succédés dans un ordre anarchiques égyptiens, collages, batailles napoléoniennes, dissection de blattes, circuits en série, chevaux d’arçon, propositions relatives, flûte à bec, angles optus et patin coufin (bref, un tas de trucs sur lesquels vous ne seriez finalement pas évalué).
Bacs dits blancs comme laborieux entraînement, l’hiver qui fout le camp et la certitude toujours présente qu’il vous reste du temps, beaucoup, alors que les premiers rayons pointent leur nez et avec eux la progressive prise de conscience du couperet à venir. Les premiers week-ends de mai passés enfermés dans les chambres surannées de maisons de famille pendant que les adultes, sereins, bouquinent au soleil persuadés que leur progéniture engloutit enfin les kilomètres de résumés fichés du programme, d’Annabacs achetés chez Gibert, gavée au Guronzan et galvanisée par cet avenir qui se jouera dans quelques semaines. « Ca va, mon chéri, pas trop dur ? ». La porte qui s’ouvre de temps en temps, vous extrayant violemment d’une torpeur inextricable, alors que les dates et les millions d’habitants ivoiriens se mêlent sous vos yeux désespérés, coupables, de répondre « Oui maman, pfiou, ça bosse, ça bosse » alors que vous comptiez les feuilles du peuplier ( Google n’existait pas).
Juin, c’est loin. Vous êtes large.
Puis les potes qui se font pourtant de plus en plus rares aux réunions glandouille du mercredi aprem. Et même les plus flemasses qui rentrent finalement chez eux (« ma mère, tu comprends… ») vous poussent enfin à la tâche.
Alors que le tournoi commence. La Quinzaine.
Et que chaque journée se rythme avec souplesse autour des ballets gracieux, passionnants, inoubliables, de ces joueurs et joueuses venus battre le fer sur la terre ocre, et que la promesse de cette « pause Roland » à l’heure du déjeuner puis du souper vous permet d’endurer l’insupportable.
Et là, han, han, sous le cagnard du Central, vous vous enthousiasmez comme jamais pour ces surhommes soumis depuis l’enfance à l’entraînement drastique qui les a emportés au sommet. Agassi, Sampras, Becker, Brugera, Chang, Muster, Courier, Barasategui, Krajicek… il sont encore là, ces légendes des courts, et vous enchantent plus que jamais dans cette compétition que vous savourez d’autant plus qu’elle est votre unique respiration dans le tunnel inquiétant qui vous mènera enfin à la délivrance. Belmondo, Pierre Richard, Bruel, PPDA dans les tribunes. « Au prochain set, je m’y remets », « Après le tie-break, j’éteins »… la douleur, le tiraillement, la VOLONTE que vous testez réellement pour la première fois de votre si courte existence. Les cuisses fuselées de Steffie, la guerre d’Algérie, la hargne d’Arantxa, la grotte de Platon, le courage d’Agassi, le PIB des Etats-Unis, tout se mêle et s’entrelace en ces nuits moites où votre cerveau tente de faire le tri dans cette masse d’nfos disparates qui lui sont quotidiennement envoyées.
Et puis la finale, le tapis rouge, Christian Bimes, votre cafard, la coupe brandie par l’Autrichien, et ce dimanche soir où vous vous rendez compte soudain que les jours ont tant rallongé qu’ils semblent ne jamais finir. Dans la rue, tous ces individus libres de toute entrave qui sirotent des Perrier en terrasse, se baladent, rient sous vos fenêtres alors que vous reprenez vos bristol, vos stabilos, vos post-its, et le gobage de ces dates indigestes que vous oublierez dans quelques semaines pour l’éternité.
Aujourd’hui, je pense à tous ces malheureux qui révisent, enfermés dans leurs chambres d’adolescents alors que le soleil tape sur le Philippe Chatrier.
Pour moi, c’était il y a vingt ans mais qu’ils en soient certains, alors que je pensais évidemment le contraire, je n’ai jamais plus suivi avec tant de passion (et de discipline) un tournoi Roland Garros que pendant cette monacale et pas si désagréable période dite de révisions.