« Comment, il ne fait pas ses nuits ?! »

bebeMon fils va avoir deux mois. Dans 9 jours.

Depuis sa naissance, une question récurrente semble hanter mes interlocuteurs, lesquels ne peuvent s’empêcher de me la poser, anticipant ma réponse avec inquiétude, compassion ou jalousie selon leur situation génitrice personnelle : « Est-ce qu’il dort bien ??? »

Non.

Fut ma réponse dès les premières nuits passées avec cet être incapable d’exprimer de manière claire ses besoins (un son pour dire faim, caca, dodo, chaud, froid, soûlé ou « je me fais vraiment chier dans ce couffin en plastique transparent »,  avouons que c’est limité). Car non, on ne peut pas dire que se réveiller toutes les deux heures en agitant les bras tel un chef d’orchestre en poussant de petits cris de souris avant de monter en puissance pour, finalement, hurler à s’en éclater les poumons, on puisse appeler ça « bien dormir ». Moi, en tous cas, je ne dormais pas bien. Lui, après tout, on ne sait pas. S’il pouvait parler, peut-être couperait-il court à toute supputation en m’apprenant que « Ah moi ? Non non, je dors très bien. Tu sais, j’ai besoin de très peu de sommeil. En revanche, je m’ennuie vite donc si tu pouvais prévoir des activités nocturnes pour les 6 prochaines années jusqu’à ce que je sache lire, ce serait sympa. » Auquel cas, je préfère largement qu’il ne puisse rien m’en dire.

Chaque jour de plus est un jour de moins, me suis-je ensuite convaincue pour me consoler le mois suivant, alors que les petits cris ne cessaient pas plus que ces réveils au petit bonheur la chance. « C’est bon, il a pris son bain et un biberon de 150. On en a au moins pour deux heures gniark gniark », nous sommes-nous maintes fois réjouis, mon concubin et moi-même, plongeant avec délectation dans ce lit que nous ne n’habitions plus qu’à quart temps   (ça fait des économies de lessive, vous dites-vous fort à propos si vous n’avez pas encore eu d’enfants. Sinon, vous savez que la machine n’a pas arrêté de tourner un seul instant depuis ma mise bas). Pourtant, alors que nous nous endormions tout habillés, baskets au pied parce que faut pas déconner, on n’allait pas gâcher la moindre minute de sommeil… HEUHAAAAA HEUUUHAAAAANNNN ! La sirène retentissait à nouveau sans prévenir, comme ces fausses alertes au feu qu’à l’école, certains profs préféraient feindre de ne pas entendre, lassés par ces années d’exercice inutile et fatigant.

Dans son berceau, yeux grands ouverts et l’énergie chevillée au corps du mec sous ecstas qui sautille avant un marathon, l’enfant nous regardait. « AAAhhhhh, j’ai bien dormi, moi ! BON, on fait quoi maintenant ? Petit-déjeuner ? Balade ? Guilis, télé, je sais pas moi proposez… ». A minuit. A deux heures. A cinq heures, qu’importe, c’était l’anarchie. Aucune règle, aucun « jamais », aucun « toujours » ni aucune progression, rythme ou régression. Le mec partait en vrille sans manifestement se rendre compte de ce qu’il nous faisait subir.

« Suivez le rythme de votre bébé », ont alors dit certains. « Il est si petit voyons, c’est NORMAL qu’il se réveille la nuit ». « Il a besoin de calinous ce petit fripon. », « Oh le coquin, il fait la java ! », dirent les baby gagas, adeptes de ces euphémismes cucul bien irritants mais si rassurants.

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50 nuits sans sommeil plus tard…

Ce matin, après une garde du type biberon à 3h30, réveil à 4h, puis 5h, puis 5h10, puis 5h15, puis amenage du bébé dans le lit pour reréveil à 6h, puis 6h15, 6h30, 6h50 et biberon à 7h, j’eus mon premier rendez-vous de kiné périnéal (je vous passe les teneurs de cet entretien de « prise de contact » par ailleurs fort cocasse mais couvert par le sacro-saint secret professionalo-maternel). Jetant un coup d’œil suspicieux à mes cernes, puis à mon coquinou kiffeur d’afters, elle fit la moue (mes cernes / coquinou / mes cernes / coquinou… ça a fait TILT).

« Il dort bien la nuit ?

Moi : Haha. Euh… non. Il dort jamais en fait.

Elle : Non. Ne me dites pas qu’il ne fait pas ses nuits !

Moi : Bha, il n’a qu’un mois et demi hihi il est si petit (ne pas dire « fripon » ou « coquinou ») »

Moue désapprobatrice de la kiné qui bat en retraite (« Vous arrive-t-il de faire pipi quand vous riez ? »).

Puis, 10 minutes plus tard : « Mais… Il ne boit quand même pas un biberon la nuit ?

Moi : Bha si (on voit bien que t’as pas les hurlements de hyène dans ton salon et en plus c’est marqué sur la boîte que jusqu’à 5 mois il a le DROIT – voire le devoir nan ? – de boire la nuit)

Elle : Ah mais il faut arrêter. Il est assez gros.

En moi-même : Gros ? Merde… Il est gros ?

Elle : Maintenant le biberon la nuit c’est fini ! Vous devez le SUPPRIMER. Ce sera dur, mais c’est le seul moyen ».

De retour à la maison, je regarde Petit Frère dans les yeux et je lui dis : « Ecoute-moi Petit Frère c’est fini tes conneries la nuit maintenant, le bar est fermé ok ? Tu peux supplier, pleurer, je ne te servirai plus ! Tu dois te DESINTOXIQUER. »

Lui, dans son « langage » : « Bonjour, je m’appelle Petit Frère et je suis Milkaholic.

Moi : Oh, je ne sais pas ce que tu essayes de me dire avec ta tête, là, mais ça ne MARCHERA PAS. »

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Peu après, à déjeuner, une amie journaliste pour la presse bébé balaie les ordres de la kiné d’un revers de la main : « C’est n‘importe quoi ! Jusqu’à trois mois ton bébé a BESOIN de ce biberon. Tu sais qu’on dit que dormir 6 heures de suite à 5 mois c’est déjà miraculeux ? »

En moi-même : I want to die

Plus tard, lorsque Petit Frère aura enfin intégré le monde merveilleux des gens qui, la nuit, roupillent tranquillement pour mieux soûler des tiers au grand jour, les challenges continueront pour lui et moi. « Quoi, il n’a pas fait ses DENTS ? », « COMMENT, il porte encore une couche ? », « Non, ne me dis pas qu’il a encore un biberon / une tétine / un doudou / un body », « Il compte marcher bientôt ? ».

Pourtant, aucun ne semble impliquer autant le reste du foyer que ce challenge ô combien crucial des nuits, que chacun semble maîtriser dès lors qu’il n’a pas de nourrisson dans sa vie au moment où il vous balance son petit conseil.

Ah oui j’oubliais, avant de partir, la kiné m’a glissé : « Mon aîné a fait ses nuits à seulement trois mois, c’était l’horreur ».

Allez Petit Frère, pour cette fois, tâche de grandir trop vite.