L’histoire banale d’une commande Internet

Est-ce que j’achète ce une-pièce asymétrique rose bonbon ?

Après trois jours de lâche abandon de panier en plein eshop, je décide que oui. Il me le faut. C’est évident. Allez zou, finissons-en. Il est 23h il faut que je dorme.

Valider le panier.

Oui.

Suis-je sûre ?

Oui.

Est-ce que je suis déjà cliente ?

Mmhh… aucune idée. Possible. Ou pas. Allez, dans le doute, tentons.

Mon adresse mail. Enfin, la dernière en date. Mon mot de passe. Toujours le même depuis des années. Valider.

Erreur. Votre adresse ou votre mot de passe ne correspondent à aucun compte lié. Ah. 

Tentative avec ancienne adresse mail.

Erreur.

Relou. Bon, créer un compte. Mais c’est vraiment parce que j’ai super besoin de ce une-pièce asymétrique rose bonbon. Now.

Adresse mail. Prénom. Nom. Adresse. Téléphone. Code. Date de naissance. Profession des parents. Vazy. Ok, ok, allez !

Adresse de facturation. Oui, la même ! Est-ce que j’accepte de recevoir des relances commerciales tous les jours de ma vie ? Oui, oui, ce que vous voulez, qu’on en finisse. Valider. VALIDER.

Etes-vous un robot ? M’enfin… NON.

Prouvez-le.

Combien de feux tricolores sur le puzzle tout flouté de photos prises il y a un demi-siècle à Los Angeles ? Hein ? Combien ? Cochez. Merde, est-ce que c’est un feu, là, au fond à gauche ? C’est vachement dur comme test. Impression de repasser son code. Allez, on va dire que oui. Que c’est bien un bout de feu tricolore.

Raté.

Etes-vous un robot ? Recopiez ce code tout tournibouché. Au secours. C’est une majuscule ou une minuscule ? Un o ou un zéro ? 23h15. Réinitialiser. Dans le doute, ça semble plus secure. Jmr8xv…. z ou s ? Z ou S ??? Je vois paaaas ! Peut-être que je suis un robot ? Peut-être qu’ils ont raison. Peut-être que j’aurais dû savoir s’il s’agissait d’un feu tricolore.

Wow. On dirait que j’ai réussi à tromper leur vigilance.

Valider.

VOTRE ADRESSE MAIL EST DEJA ASSOCIEE A UN COMPTE EXISTANT.

Sueur.

Rage.

Tentation d’abandonner.

JE CROYAIS QUE VOUS ME CONNAISSIEZ PAAAAS.

Attention, il n’en reste plus que 2. Ca clignotte sec près du une-pièce asymétrique rose bonbon qui pourrait bien disparaître dans la nuit, shoppé par des robots étrangers. Des robots organisés qui ne perdent pas leurs mots de passe. Eux.

Mot de passe oublié. Valider.

Vous allez recevoir un email.

Rien.

23h23.

Rafraîchir.

23h25.

Rafraîchir.

F5.

Renvoyer le mot de passe.

Renvoyer le mot de passe.

RENVOYER LE MOT DE PASSE.

Merde, les spams.

12 nouveaux mots de passe. 7ghr5%ù+/.?Ki90.

Copier.

Coller.

Copier.

Coller.

Valider.

Réinitialisez votre mot de passe.

Valider.

Votre mot de passe doit contenir au moins une majuscule, un caractères spéciaux, pas d’espace, pas de point.

Erreur.

Votre mot de passe doit contenir au moins une majuscule, un caractères spéciaux, pas d’espace, pas de point.

Connexion réussie.

Sensation soudaine d’accomplissement même si je ne me souviendrai évidemment jamais de ce mot de passe, qui est mon de passe habituel le même depuis des années, auquel j’ai ajouté une majuscule, un caractères spéciaux, pas d’espace, pas de point.

Votre panier est vide.

Recherche.

“Une-pièce asymétrique rose bonbon”.

Valider.

Code, groupe sanguin, certificat de naissance, copie du casier judiciaire.

VALIDER VALIDER OUI OUI OUI A TOUT.

Colissimo à 25,90 euros ? Retrait en magasin à Nantes ? Retrait en Relais colis ?

Valider.

Choix du point Relais.

Allez, zou, ok, ok. Qu’importe.

Mode de paiement. Carte. 

Validation par SMS.

Code ?

765436.

Valider.

Sûre ?

Sûre.

Merci pour votre commande.

23h55.

Epuisement. Sentiment d’impuissance. De dégoût face à grosse dépense inutile.

Ca se porte avec quoi, un une-pièce asymétrique rose bonbon ?

Tentation de taper “Ca se porte avec quoi, un une-pièce asymétrique rose bonbon ?” sur Google.

Départ dans 5 jours.

Promesse du site de livrer sous 48h.

Stalking de colis. Angoisses récurrentes. Pertes probables d’années de vie.

Colis bloqué dans entrepôt pour raisons floues et indéterminées.

Colis finalement livré dans Point Relais sis à Perpète à l’autre bout de l’arrondissement.

Départ en avance de bureau pour arrivée à temps avant bouclage définitif de valise.

Chaleur harassante. Rues vides post-apocalyptiques de milieu d’été.

Arrivée finale devant magasin de téléphonie mobile… fermé pour congés. Rouvrira dans une semaine.

Annulation de commande impossible.

Colis repartira d’où il vient sans retrait dans les 10 jours ouvrés.

Départ en vacances avec spectre d’un retour passé à harceler service client injoignable par téléphone sans même la joie d’une marque de bronzage asymétrique pour panser blessure morale de septembre.

Voilà, c’était l’histoire banale d’une commande Internet.