Peut-on être une vraie mère sans tout ziploquer ?

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Avant d’être mère, je n’emballais rien. Mais vraiment rien. Si j’ouvrais un paquet de viande des grisons, je le finissais epi c’est tout, avant de le lancer (mal) dans ma poubelle débordante de boîtes individuelles bien pratiques, car destinées à immédiatement quitter les lieux après consommation, comme les individus eux-mêmes amenés à passer une soirée unique en mon deux-pièces de célibataire.

Puis vint le jour où je décidai d’unir mes repas à ceux d’un homme qui, lui-même, émis alors l’option de jeter ma poubelle lorsque celle-ci déborderait de nos détritus devenus communs. Jusque-là, tout se passait correctement, puisqu’aucun d’entre nous n’eut osé faire à l’autre des reproches aussi futiles que « nan mais putain POURQUOI tu attends TOUJOURS que le sac soit plein pour en changer ??? » (la réponse, messieurs, étant simplement « par flemme », puisqu’il semblerait que cette abjecte habitude qui consiste à écraser de toutes ses forces grosses boîtes en cartons, magazines décatis et vieilles pâtes abandonnées plutôt que de changer le sac éventré soit à forte dominante féminine).

Quelques années plus tard, un, puis deux charmants bambins vinrent s’ajouter à la liste des habitants du foyer, lesquels ne furent, dès leurs premières heures, pas en reste côté attentat écolo (les enfants et leurs épaisses couches crottées, leurs lingettes par milliers et leurs ignobles gadgets promotionnels en plastoc  sont les plus grands responsables de la pollution mondiale, cessons toute langue de bois).

Si je lâchai rapidement l’affaire côté recyclage (« le caca, poubelle jaune ou poubelle verte ? »), je compris tout aussi rapidement qu’il me faudrait adapter mon mode de vie au leur (et non le contraire), tout particulièrement en ce qui concerne leur approvisionnement alimentaire qu’il allait falloir organiser, et plus encore je dirais structurer, processer, plannifier. La galère.

« Tiens, si on partait en week-end AVEC LES ENFANTS ? » Hou la bonne idée. Alors, pour le voyage, il me faudra une purée, deux compotes, de l’eau, des biscuits, de la viande, des petits jouets, des tétines, des médocs, des affaires de toilettes, des kleenex, un mouche-nez… Et hop hop hop que je te jette tout ça dans un vieux sac chopé à la va-vite dans un de mes fameux sac à sac… C’est ainsi que je procédai dès mes débuts dans le métier, et j’ai longtemps pensé que je faisais (relativement) bien les choses. Bien sûr, il est fréquemment arrivé que de la compote suinte sur les playmobils, que les tétines agrippent quelques moutons de poussière ou que les médocs explosent les uns sur les autres mais avais-je d’autre solution ?

Manifestement, oui.  Je le sais depuis que j’ai croisé, avec les ans, le chemin de professionnelles de la maternité, d’extrémistes de l’emballage, de radicalisées du portionnage, à savoir les FEMMES ZIPLOC. Ces femmes emballent tout. Elles sont propres, et entassent dans leur grand sac immaculé une quantité infinie de petits sachets plastique de couleurs renfermant chacun concombres, bâtonnets de carotte finement tranchés, sandwich, legos classés par couleur, chips de légumes et quelques poignées de tétines de secours bouillies et élégamment consignées dans leur habitacle hermétiquement clos. Si je restai d’abord hébétée devant un tel spectacle, je rêve depuis d’appartenir à cette caste d’êtres supérieurement organisés.

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En bref, en 2015, je veux devenir une femme ziploc. Oui, moi aussi, je veux ziploquer ma vie entière dans des sachets que je classerai, eux-mêmes, par familles de sachets regroupés dans un plus grand sachet. Hop, ziploc. Dans mon sac à main, je mettrai un ziploc de maquillage, un ziploc de clés, un ziploc de piécettes.

Dans la chambre des enfants, je ziploquerai les jouets du macdo, les associerai à ceux de Kinder, puis balancerai le tout à la poubelle dans leurs beaux cercueils zippés. Je regrouperai les beyblades, parquerai les Legos pour plus marcher dessus, ziplopquerai les pièces de puzzle et les cartes Pokemon pour l’éternité. Je serai le Dexter de victimes en plastaga.
Galvanisée par cette nouvelle vie qui s’offre à moi, je pense même à ma chambre, dans laquelle je pourrais ziploquer les chaussettes que mon mec laisse invariablement trainer chaque soir au même endroit. Peut-être que si je lui indiquais clairement un lieu pour ces malheureuses et odorantes défuntes, nous pourrions les ziploquer ensemble, afin qu’elles atteignent, en couple cette fois, le panier à linge sale ? Mes culottes, hop ziploc. Mes barrettes, plouc plous zip LOC. Je comprends que ma vie était trop brouillonne, qu’il me faut la compartimenter, la ziploquer à l’envi. Je comprends que cette grande firme grossit à mesure que les mères flippent et que les dealers s’organisent.

Je vais sur Instagram et je vois que la tendance explose, que le monde se ziploquise, qu’on peut rapidement devenir dingue, accro au zip, addict au sachet plastique et je me dis qu’après tout merde, je ne veux pas sombrer, moi aussi, devenir zipplaholic.

Alors j’ouvre un sachet de chips, j’en prends quelques-unes, je roulotte l’emballage sur lui-même, lequel s’en donne alors à cœur joie en une contorsion bizarre  pour reprendre sa forme initiale avant que toute la maisonnée ne plonge discrètement sa main dedans à chaque ouverture du placard de la cuisine. Scrutch scrutch.

Dans un tiroir dorment paisiblement les centaines de ziploc achetés avec urgence sur Amazon alors que Petit Frère joue distraitement avec l’unique sachet que nous ayons jamais sorti de sa boîte, ébahis devant tant de modernité hygiénique. Dedans, il a mis des jouets sales même pas classés par couleur ni par marque, écrasé quelques miettes de biscuit et fini par casser la fermeture à force de la mordiller. RIP Ziploc. T’étais pas fait pour nous.