Jean-Vincent Placé ou le problème du seul « chinois » connu en France

Mes deux fils sont quarterons, leur père est eurasien, de père chinois et de mère française. Tout ça n’était pas prévu. Jeune, comme beaucoup de couillonnes de mon âge, l’idée même de sortir avec un « asiate » me faisait doucement glousser (« Rhihihi han t’imagines ? Nan je pourrais pas ! »). Et puis la vie, mon merveilleux non-époux et cette première grossesse qui me fit redouter la tête chelou que pourrait avoir cet enfant aux gènes si disparates. Et qui naquit finalement ultra bridé, mais moins que son frère, sosie officiel de Bruce Lee. Bref, voilà maintenant plus de quatre ans que je me coltine avec bonheur ce trio oriental de toute beauté, et que je m’intéresse, forcément, à la condition des asiatiques en France.

Il y a quelques jours, le toujours navrant Jean-Vincent Placé a été arrêté, ivre caisse, après avoir lourdement emmerdé une jeune fille dans un bar et lui avoir proposé de l’argent, puis tenu des propos racistes au videur qui tentait de s’interposer (« On n’est pas au Maghreb ici. Je vais te renvoyer en Afrique moi. Tu vas voir ! ») et enfin balancé un « Ils arrivent quand les connards ? » aux flics qui attendaient du renfort pour l’embarquer. Bref, le seul « chinois » (il est coréen) connu de France venait une nouvelle fois, après avoir posé avec une poule, accumulé les amendes non payées, publié le plus gros flop de l’édition (« Pourquoi pas moi ! » euh bha parce que…) et j’en passe, de s’illustrer de la plus grotesque des manières, confortant ainsi l’opinion publique dans l’idée que ces asiatiques, quand même, ils ne sont pas « comme nous ». Bha oui, puisqu’à lui tout seul, il semblait bien représenter l’Asie toute entière.

Et c’est alors que je me suis effectivement demandé si un autre personnalité d’origine asiatique pouvait donner un exemple un peu plus swag aux Français, qui continuent pour beaucoup à ne pas entrevoir d’autre modèle que le chinetoque de Michel Leeb, leur traiteur du bout de la rue à l’accent rigolo, leur nounou philippine ou les japonais marrants qui opinent bêtement du chef dans les films de gangsters. Bref, si mes fils, et les autres enfants ou petits-enfants d’immigrés, pouvaient s’identifier à un mec cool, une femme stylée, un politicien powerful (mais pas JVP), un chanteur, un acteur, un présentateur… bref à quelqu’un qui en jette un peu, quoi. Lors d’un dîner chez des amis chew (elle de religion juive, lui d’origine vietnamienne ; aux Etats-Unis, cela donne la contraction chew pour « chinese jew »), nous avons ratissé le PAF et ses environs en nous posant cette question : quel Français d’origine asiatique les Français connaissaient-ils ? Oui, si on leur demandait, comme ça, dans la rue, hop du tac au tac : « tu connais qui ? », que répondraient-ils (à part JVP) ? « J’AI ! Le mec de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? », m’a-t-on rétorqué. Mouais, sauf que j’étais la seule à savoir qu’il s’appelait Frédéric Chau. Pierre Sang ! Mouais. Fleur Pellerin ! (je vous le fais en accéléré, ça nous a pris vachement plus de temps). Ok, sauf que tout le monde la déteste. Et enfin, tadam et end of the story : Jade et Joy, les filles à Jojo. Ouah.

Dans Google qui sait tout, j’ai tapé : « français d’origine asiatique connu ». J’ai alors vu apparaître plein de nobodes, Kev Adams déguisé en chinois, Frédéric Chau et Maître Vergès (mort, ça compte pas).

Et là je me suis dit que dans un pays aussi cultivé que la France, aussi historiquement ouvert, offrir si peu de visibilité à toute une partie de sa population, au point qu’une méconnaissance immense de celle-ci perdure en 2018, était une totale abherration. Combien sommes-nous à distinguer un Coréen d’un Japonais, d’un Chinois, d’un Vietnamien, d’un Cambodgien, à ricaner lorsqu’on en parle, à faire tranquillou des vannes d’un racisme banalisé ahurissant dans un société où l’on licencie un présentateur pour moins que ça, parce qu’ «ils » sont gentils, sourient tout le temps, font des nems, de l’informatique et du karaté, sont sages et disciplinés, ne comprennent rien mais sont stylés ?

Alors moi j’espère que lorsque mes fils seront plus grands, tout ça aura changé. J’espère qu’on ne les oubliera plus dans la répartition de la visibilité, j’espère que « le mec du bon Dieu » se fera un nom, ne jouera plus forcément l’asiatique de service, que plein d’autres viendront grossir les rangs, et puis que le modèle Jean-Vincent Placé, « homme le plus con du XXIe siècle » pour Yann Moix, ne sera plus qu’un lointain et désagréable souvenir.

A-t-on le droit de filer des coups de pied à un mec qui ronfle ?

La question se pose.

Qui n’a jamais dormi avec un ronfleur ne peut pas comprendre. Par ailleurs, ces individus qui disent n’avoir jamais dormi avec ronfleur se trouvent bien souvent être ledit ronfleur (« Jamais dormi avec un ronfleur, moi ! »).

Sachez-le, la vie et surtout les nuits du coloc couettier d’un ronfleur est un monde à part, fait de périodes d’accalmies, d’imprévus et de tempêtes qui le laissent souvent, après des heures de combat mental, exsangue.

Déroulé : le ronfleur s’endort. Ne me demandez pas pourquoi mais un ronfleur s’endort toujours plus rapidement que son codormeur. Et là, Rrrrrr, Rrrrrr, il met en place sa machinerie. Régulière, disciplinée, monotone, en mode moteur métronomique bien parti pour durer. Le codormeur essaye de passer outre. Encore calme, il ferme mentalement ses écoutilles, tente de plonger dans le sommeil en évitant de focaliser sur la nuisance sonore, comme on parle avec naturel à quelqu’un qui a une crotte de nez en essayant de regarder ailleurs. RRRRRrrrrrrRRRRRRRRRRR. Le ronfleur passe la seconde, prend ses aises, s’installe dans sa symphonie avec l’aisance du mec bien dans son bed. Bras en croix, organe ouvert, air satisfait il se donne à fond. Le cohabitant perd patience, focalise alors, s’enroule dans la couette avec exaspération, écrase un oreiller sur sa propre tête, tente bien de visualiser des plages paradisiaques ou de doux souvenirs d’enfance, en vain. C’est comme s’il dormait avec un Thermomix. Ecumant de rage, plusieurs possibilités s’offrent alors à lui :

  • Tenter de rouler le ronfleur sur le flanc. Solution douce et assez efficace rendue quasi impossible dans le cas d’un individu de masse supérieur à 80 kg. Alternative : faire levier par en dessous avec un objet large et plat type énorme pelle enfourne-pizza.
  • Siffler. Inutile. Légende urbaine. De surcroît énervant et dévalorisant car c’est alors qu’on se rend compte que siffler n’est pas si simple et qu’on le fait mal. Fuuuuu, fuuuuuu. RRRRRRrrrrrRRRRRRR. Fuuuu. RRRRRRRRRRR.
  • Murmurer à l’oreille du ronfleur. « Mon amour, tu ronfles. Tu m’entends ? » RRrrrrRRRRR. « Mon amour tu ronfles ! Peux-tu te tourner ? » RRRRrrrrRRRRR. « He CONNARD tu RONFLES j’arrive pas à dormir ! » « Hein ? Quoi ? Pourquoi tu me réveilles ? Pourquoi tu me traites de connard ? Ce que tu peux être égoïste ! Je dormais ! ». Engueulade assurée + ronfleur qui va se transformer en ronchonneur qui tire sur la couette en vous tournant le dos + culpabilité. Tentative de finalement trouver le sommeil réduite à néant.
  • Lui pincer le nez pour lui couper la respiration, le forcer à ouvrir la bouche et à cesser ce bruit atroce. Dangereux si le sujet n’ouvre finalement pas la bouche (surtout s’il a bu) et semble étouffer par votre faute.
  • Aller dormir ailleurs. S’enrouler dans un micro-plaid sur un canapé inconfortable, avoir froid aux bouts de doigts de pied et autres morceaux de peau qui débordent. Tomber malade. Offrir au ronfleur un espace de jeu plus grand encore qui pourra potentiellement décupler ses talents et faire résonner sa ployphonie jusqu’à votre point de retraite. Mauvais calcul.
  • User de la tactique des concubines de longue date ayant épuisé toutes les solutions précitées : celle du p’tit coup de pied en loucedé. A savoir : bien calé de dos, avec l’air endormi, placer un pied près du tibia du ronfleur et schlok, donner une brève mais efficace claquette qui, sans réveiller tout à fait le nuisant, le surprendra assez dans son sommeil (« M’enfin mai qu’est-ce qui s’passe ? » *voix de Bourvil*) pour faire cesser immédiatement le ronflement. Avec un peu de chance, celui-ci entreprendra de lui-même sa mise sur flanc, que vous pouvez discrètement aider de votre corps prétendument endormi, ce qui vous garantira alors une fenêtre de tir de quelques minutes pour trouver le sommeil rapidos nu vu ni connu je t’embrouille.

Moralité oui, donner un gentil coup de pied pour une harmonie conjugale recouvrée est un choix qui, s’il peut sembler cruel, est à mon avis le plus censé. RRRRRrrrrRRRRRrrrrrR.