En pyjama Spiderman et bavette en plastoc fatalement fendue en son milieu, il finit sa Danette, écrasant avec un soin professionnel la crème jaune vif sur son mignon visage.
– « Tu crois qu’il va neiger maman ? »
Vaguement, vous regardez par la fenêtre et vous rendez compte que bha oui tiens, il neige enfin.
– « Il neige, titi ! », vous dites.
Faisant voler en éclats le fonds du yahourt, il se jette alors sur vous, essuyant au passage son mignon visage, la Danette et le liquide qui s’écoule de la bavette fendue sur votre pull qui sort du pressing. Pas grave, il neige, quoi.
Vous le prenez dans vos bras, il passe les siens autour de votre cou mais ne voit rien, à travers la vitre un peu cracra que vous n’avez pas lavée au liquide bleu depuis une plombe.
Vous ouvrez la fenêtre. Alors, le vent froid vient pincer vos joues rougeaudes ramollies par la chaleur de la cuisine. Les flocons tombent dru, virevoltent, et constellent le ciel noir de ce début de soirée d’hiver. Certains parviennent même à atteindre le garde-corps, s’y collant un instant, laissant apparaître le dessin délicat des cristaux si réguliers que même adulte, alors que vous en avez vus 1000 fois, vous peinez encore à croire en leur véracité tant ils ressemblent aux illustrations des livres d’enfants, ou au logo de l’ESF sur lesquels, de niveau en niveau, s’agrègent les étoiles.
Il se penche dans vos bras. Il veut les toucher, les flocons. Et pourtant, ils fondent si rapidement dans ses doigts qu’il pense qu’ils disparaissent. Et puis ça vous fait peur, qu’il se penche comme ça.
– Viens, habille-toi ! On descend, on va voir tomber la neige. C’est cadeau !
– CADEAU !
Pure folie que ce resapage en pyjama à 20h15 un lundi soir, alors que vous attendiez impatiemment d’en avoir fini de la corvée petit-suisse, débarbouillage, pressée de passer des coups de fil, de vous faire à dîner ou de poser enfin vos fesses sur votre canap’. Et pourtant, ce soir-là, et cette pure folie, suspend un instant ce sombre quotidien de début de semaine.
Excité comme pas possible, il saute dans ses baskets qu’il met invariablement à l’envers, enfile sa doudoune avant que vous ne veniez visser de force sur sa petite tête son bonnet de laine grise.
Dans le hall, il sautille, plus joyeux que si vous lui aviez promis le plus incroyable des voyages.
Vous ouvrez la lourde porte de l’immeuble et faites quelques pas alors que la neige tombe à gros flocons, si bien que, tous les deux, vous êtes obligés de baisser la tête, aveuglés par les cristaux glacés. Puis, ensemble toujours, vous levez les yeux vers le tourbillon blanc. Il sourit, et se met à tourner sur lui-même, les bras en croix, poussant alors de petits cris de joie, son bonnet bientôt recouvert de petites boules blanches.
A travers sa vitrine illuminée, le boulanger vous fait un signe. On se croirait dans un conte d’Andersen. Un instant, Titi ambitionne d’aller lui taper un schtroumpf ou une banane mais renonce, bien trop accaparé par cette nouvelle découverte.
Bientôt, il faut rentrer. Secrètement, vous espérez que la neige tiendra et qu’il pourra, le lendemain, la prendre à pleine main, se jeter dedans.
De retour dans la maison chaude, alors que, ensemble toujours, vous retirez en frissonnant vos doudounes, il vous regarde du haut de ses trois ans et vous assène :
– T’es trop cool.
Puis :
– T’es vraiment une super maman !
Votre cœur, il pourrait exploser. C’est con, hein ? Tout ça pour trois flocons.
Vous le mettez au lit, lui lisez même deux histoires, ce soir-là, et n’êtes finalement plus si pressée de poser vos fesses sur votre canapé rapé, passer des coups de fil ou vous faire à dîner.
Par la fenêtre de sa chambre, il zieute les flocons alors que se paupières se ferment doucement.
Jouuuur de neiiige dans un grand pull qui me protèèège… Preeemière neige, vertige en moi comme un manège.