Le bruit des clés

Ayé c’est arrivé. J’avais lu il y a quelque temps une interview de Vincent Delerm qui évoquait cette première fois dans la vie d’un parent. Celle où votre enfant passe le pas de la porte seul, avec ses clés, et pas derrière vous, à sautiller parce qu’il a envie de faire pipi, de foncer dans sa chambre ou qu’il vous raconte mille trucs incompréhensibles pendant que vous vous battez avec le trousseau pour lui ouvrir parce que vous seule pouvez lui permettre de rentrer chez lui. Je crois qu’il avait dit un truc comme : « la première fois que votre gamin rentre seul à la maison, que vous êtes là et que vous entendez le bruit des clés, c’est une page qui se tourne » ou quelque chose de ce genre. Je me souviens que je remplissais le lave-vaisselle en l’écoutant distraitement à la radio, et que ça m’avait glacé les sangs, cette histoire de page qui se tourne dans un bruit des clés. Parce que pour moi, le bruit des clés, c’est celui que faisaient mes parents quand ils rentraient le soir il y a des décennies, et puis celui que fait mon mec aujourd’hui. Rien d’autre. Non, je n’avais finalement jamais connu d’autre bruit de clés.

Ce matin, j’ai emmené mon aîné au collège pour la première fois. Il avait un peu honte que je sois là mais finalement, plein d’autres parents que j’ai personnellement trouvés beaucoup moins « cool » que moi étaient là aussi alors ça l’a pour ainsi dire détendu. Le grand portail s’est ouvert, il m’a maladroitement effleuré la main pour me dire « au revoir » et un peu « merci pour tout » et puis il s’est éloigné, fier et digne, vers la grande cour arborée. Je suis restée un moment et j’ai écouté les autres familles parce que je suis curieuse. J’ai esquissé seule des petits sourires émus, j’ai même essuyé une larme devant un grand frère qui souhaitait « bon courage » à son cadet après l’avoir embrassé avec une gêne mêlée d’une immense tendresse, et puis je suis rentrée chez moi. A midi vingt-sept, j’ai entendu ce fameux cliquetis que j’avais tant redouté et puis finalement j’ai trouvé ça chouette. Qu’il soit là tout seul, souriant, terriblement fier avec son trousseau au bout des doigts, et heureux de cette liberté nouvelle de pouvoir entrer et sortir sans nous de cet endroit où il vit depuis tant d’années.

On est sortis manger un grec, on a parlé des profs, de l’emploi du temps, de la qualité des frites et puis, il est reparti. Et pour la première fois (et j’en suis sûre pas la dernière), j’ai lancé comme ma mère naguère : « t’as bien tes clés ? ». Et j’ai compris qu’une page qui se tourne, c’est aussi une nouvelle histoire pas forcément triste qui commence. Et que peut-être Vincent Delerm évoquait cela dans son interview, ensuite, mais que le bruit de mon lave-vaisselle avait couvert la fin de son histoire.